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Abstract :
[fr] Le mouvement de la psychothérapie institutionnelle a mis la question du soin des institutions à l’agenda. Il a souligné la nécessité de soigner au quotidien les institutions pour pouvoir soigner les patient∙es. Le présent travail repart de l’expérience du confinement décrété à la suite de la pandémie du covid-19 en 2020 pour explorer ce que la notion de quotidien recouvre. Je repars plus exactement de l’expérience du confinement vue et décrite par L’Appétit des Indigestes, une troupe de théâtre bruxelloise qui questionne la frontière entre la folie et la normalité, pour examiner des gestes du quotidien qui ont été mis en tension durant le confinement. Cet examen met en évidence un travail de préparation et de maintenance minimale au fondement de l’existence. À partir de là, je fais l’hypothèse que le quotidien se définit par un pré-care, autrement dit par un soin minimal en amont du care lui-même.
L’enjeu de la première partie est de montrer que le mouvement de la psychothérapie institutionnelle avait déjà saisi le quotidien et le chez-soi comme deux coordonnées fondamentales mais imminemment complexes dans la structuration de l’existence humaine. Pour défendre cette hypothèse, je mobilise le travail de Bruce Bégout qui redéfinit le concept de quotidien en termes de processus de quotidianisation, c’est-à-dire en termes de processus de familiarisation de l’étrangeté. Je convoque ensuite les travaux d’Emanuele Coccia afin d’envisager la notion de chez-soi et de redéfinir l’habiter en termes d’inscription et de participation à différents réseaux de forces. Les travaux de Bruce Bégout et d’Emanuele Coccia montrent ensemble la complexité du quotidien et du chez-soi.
L’objectif de la deuxième partie de la thèse est de souligner l’existence d’un travail de soin minimal inhérent à l’existence, que je propose d’appeler « pré-care ». À partir du livre Interstices. Écriture au bout du fil en temps de confinement (MaelströmREévolution, 2021) qui rassemble des textes écrits entre mars et juin 2020 par les Indigestes à l’occasion d’ateliers téléphoniques, j’examine des gestes du quotidien qui ont été entravés ou remis en question pendant le confinement. Les six gestes sélectionnés dans les textes des Indigestes sont les suivants : sortir de son lit, aller aux toilettes, se laver, s’habiller, manger et sortir de chez soi. Discuter et examiner attentivement ces gestes est une manière de rappeler que la matérialité du corps est la première chose à maintenir dans l’existence, la première chose aussi avec laquelle nous avons à négocier et cohabiter.
À travers la description des activités qui rythment le quotidien de L’Appétit des Indigestes (de ses ateliers d’écriture à ses ateliers de ménage du Pianocktail), la troisième partie met en évidence le travail de maintenance et de continuité qui caractérise cette fois le quotidien de la troupe. Je souhaite dès lors faire l’hypothèse, plus large, d’un pré-care au niveau institutionnel. Je mobilise dans ce cadre le travail de Jérôme Denis, David Pontille et, avant eux, Mierle Laderman Ukeles, autour de la notion de maintenance et du soin des choses, pour opérer ce que les premiers appellent un « transfert attentionnel », c’est-à-dire un transfert de l’attention vers le travail et les gestes de maintenance qui soutiennent matériellement notre existence. Au terme de cette troisième et dernière partie, je pose la question de l’attention que les institutions portent ou non aux conditions d’existence et d’exercice qu’elles offrent aux personnes qui sont prises en leur sein. En dernier ressort, je pose la question du travail assumé par les institutions pour veiller à leur salubrité institutionnelle, c’est-à-dire à leur caractère vivable ou non.
Enfin, il est à noter que chaque chapitre de la thèse fait l’objet de discussions avec les Indigestes. L’idée de ces dialogues vient de la volonté d’intégrer les voix et les expériences des Indigestes et, simultanément, de mettre mes hypothèses à l’épreuve.