Abstract :
[fr] La démocratie représentative contemporaine connait un tournant participatif depuis les dernières décennies. Les études théoriques et empiriques sur cette évolution dans le mode et l’organisation de l’action publique foisonnent. Elles mettent notamment en évidence les raisons qui amènent les élus à proposer des initiatives participatives (Mazeaud, 2012 ; Gourgues, 2015) ou analysent comment les représentants mobilisent ou négligent les résultats issus de dispositifs participatifs (Vrydagh, Caluwaerts, 2023). Beaucoup de ces travaux montrent l’instrumentalisation de la participation : les élus recourent à la participation citoyenne pour augmenter la légitimité d’une décision déjà prise ou pour redorer leur image (Bherer, 2011 ; Gourgues, Le Mazier, 2021).
En dépit de cette instrumentalisation, certaines recherches se sont intéressées au rapport que les élus entretiennent avec la démocratie participative. Analysant le point de vue des représentants politiques, l’étude de Jacquet et al. (2015) identifie différents profils d’élus et montre que les plus convaincus voient au mieux les dispositifs participatifs comme un complément à la représentation. D’autres chercheurs distinguent les points de vue des élus sur la participation des citoyens selon des critères socio-démographiques tels que l’âge, le genre et l’orientation politique (Heinelt, 2013). Enfin, il apparaît que des éléments propres à l’expérience politique individuelle (la longévité politique, la trajectoire de carrière, les modes de socialisation partisane) affectent la manière dont les élus perçoivent et agissent sur les dispositifs de participation (Bottin, Schiffino, 2022).
Il ressort de la littérature existante un paradoxe : pourquoi les élus continuent-ils à soutenir la mise en place de dispositifs participatifs si la légitimité qu’ils leur attribuent reste limitée et s’ils ont la plupart du temps tendance à les instrumentaliser ? Cette communication propose d’explorer ce paradoxe en nous appuyant sur la tradition américaine du pragmatisme et la notion de « situation problématique » proposée par Dewey (1967) et actualisée par Marres (2005). Selon ces deux auteurs, c’est la formulation d’un problème dans une situation donnée qui fait naitre un public qui participe à son articulation et à sa résolution. La participation citoyenne est perçue comme un problème pour certains représentants politiques. Comment, dès lors, se pose le problème de la participation citoyenne à l’échelle locale ? L’articulation de ce problème conduit-elle à l’instrumentalisation de la participation et à l’impossibilité de sa résolution ou permet-elle au contraire de faire évoluer les pratiques démocratiques locales ?
Ces questions seront discutées à partir des résultats intermédiaires d’une recherche doctorale à la demande d’une autorité locale belge et co-financée par les pouvoirs publics locaux et régionaux. Pour les besoins de cette recherche, plusieurs dispositifs participatifs ont été mis en place sur le territoire de cette autorité locale (marche urbaines, enquête Delphi, atelier-scénario), suscitant une série de réactions de l’autorité politique.
A partir d’une analyse de discours et d’observations participantes, nous avons observé différents degrés d’engagement et de résistance des représentants politiques à la mise en oeuvre de ces dispositifs. Cette communication propose de mettre nos résultats en perspective par rapport aux critères habituellement retenus dans la littérature pour tenter de cerner le rapport que les élus entretiennent avec la démocratie participative.
[en] In recent decades, representative democracy has undergone a shift towards participation. Theoretical and empirical studies on this change in the way public action is organised and conducted abound. In particular, they highlight the reasons that lead elected representatives to propose participatory initiatives (Mazeaud, 2012; Gourgues, 2015) or analyse how representatives mobilise or ignore the results of participatory mechanisms (Vrydagh, Caluwaerts, 2023). Many of these studies show the instrumentalisation of participation: elected representatives use citizen participation to increase the legitimacy of a decision that has already been taken or to improve their image (Bherer, 2011; Gourgues, Le Mazier, 2021). Despite this instrumentalisation, some research has looked at the relationship that elected representatives have with participatory democracy. Analysing the viewpoints of political representatives, the study by Jacquet et al (2015) identifies different profiles of elected representatives and shows that the most convinced see participatory mechanisms as a complement to representation. Other researchers distinguish the views of elected representatives on citizen participation according to socio-demographic criteria such as age, gender and political orientation (Heinelt, 2013). Finally, it appears that elements specific to individual political experience (political longevity, career trajectory, modes of partisan socialisation) affect the way in which elected representatives perceive and act on participation mechanisms (Bottin, Schiffino, 2022). A paradox emerges from the existing literature: why do elected representatives continue to support the introduction of participatory mechanisms if the legitimacy they attribute to them remains limited and if they tend most of the time to exploit them?
This paper proposes to explore this paradox by drawing on the American tradition of pragmatism and the notion of the 'problematic situation' proposed by Dewey (1967) and updated by Marres (2005).According to these two authors, it is the formulation of a problem in a given situation that gives rise to a public that participates in its articulation and resolution.Some political representatives see citizen participation as a problem.
How, then, does the problem of citizen participation arise at local level? Does the articulation of this problem lead to the instrumentalisation of participation and the impossibility of resolving it, or does it, on the contrary, enable local democratic practices to evolve? These questions will be discussed on the basis of the intermediate results of doctoral research commissioned by a Belgian local authority and co-funded by local and regional government.
For the purposes of this research, several participatory mechanisms were set up in the area covered by this local authority (urban walks, Delphi survey, scenario workshop), eliciting a series of reactions from the political authority.
Using discourse analysis and participant observation, we observed different degrees of commitment and resistance from political representatives to the implementation of these schemes.This paper proposes to put our results into perspective in relation to the criteria usually used in the literature to try to identify the relationship that elected representatives have with participatory democracy.