Abstract :
[fr] Le 18 août 1789 débutait la Révolution liégeoise. Fruit d’une opposition toujours plus forte entre les institutions et de l’ingérence des puissances européennes dans les affaires intérieures liégeoise, le mouvement révolutionnaire ne se termina officiellement que le 9 vendémiaire an V (18 octobre 1795) lorsque la France vota la réunion des Pays-Bas et de la principauté à la République. Le mouvement révolutionnaire du 18 août fut rapidement condamné par la Chambre impériale de Wetzlar, tribunal suprême du Saint-Empire. Considérée comme un attentat aux principes de la Paix publique de 1495, la Révolution semblait, aux yeux de l’Empire, devoir être écrasée dans les plus brefs délais. Dès lors et conformément au droit public impérial, la Chambre confia au Cercle de Westphalie la responsabilité de l’exécution de ses sentences. Mais les trois prince-directeurs du Cercle, le duc de Juliers et électeur palatin, l’évêque de Münster et électeur archiépiscopal de Cologne ainsi que le duc de Clèves et électeur de Brandebourg, étaient en désaccord sur le sort à réserver aux Liégeois .
Tandis que les deux premiers étaient partisans d’une exécution stricte, le troisième, également roi de Prusse, privilégiait, officiellement, la mise en place d’un dialogue et d’une conciliation bienveillante. La Chambre prit ombrage de cette divergence d’opinion, pressant les prince-directeurs d’intervenir avant que la Révolution liégeoise ne fût hors de contrôle. Sur le fondement de sa qualité de prince-directeur et afin de préserver l’option d’une négociation entre les parties, Frédéric-Guillaume II de Prusse prit les devants en envoyant, dès le mois de décembre 1789, un contingent militaire commandé par le général de Schlieffen. Mais derrière les arguments juridiques et officielles, cette immixtion devait permettre de maintenir un haut degré d’instabilité dans les Pays-Bas autrichiens et à la frontière française. Les projets prussiens contre l’Autriche ne laissaient que peu de doutes sur les intentions de Frédéric-Guillaume II .
Face aux reproches des princes et de l’empereur, le roi se voulait néanmoins rassurant tout en posant ses conditions. Premièrement, son armée ne procéderait à aucune arrestation en dépit des sentences impériales. Deuxièmement, les commissaires prussiens s’assureraient que les réformes constitutionnelles de la Révolution suivent leur cours, notamment en refusant la réintégration des magistrats en exil. Troisièmement, le régent de la principauté, élu par les révolutionnaires, conserverait sa place mais sous la tutelle de Berlin. Ces concessions rassurèrent les révolutionnaires qui s’étaient rassemblés derrière les officiels prussiens. Mieux équipée, l’armée prussienne tenait éloignée les forces autrichiennes, elles-mêmes confrontées à la Révolution brabançonne et à la guerre austro-turque . Casernée durant toute l’année 1790, la force berlinoise laissa les institutions révolutionnaires, en particulier les tribunaux, poursuivre leurs actions. De son côté, la Chambre impériale renforçait ses condamnations.
L’inexécution de ses demandes, couplée à l’échec des négociations entre les prince-directeurs et à la conclusion de la convention de Reichenbach, appliquait une pression de plus en plus forte sur Frédéric-Guillaume II qui retira progressivement ses troupes, laissant la Révolution en roue libre, jusqu’à l’adjonction, en décembre 1790, du Cercle de Bourgogne et donc de l’Autriche. Durant cette période, les relations entre les révolutionnaires et leur protecteur fluctuèrent au gré de la radicalisation des premiers vis-à-vis du second. Alors que Berlin maintenait sa position relativement aux premières réformes constitutionnelles liégeoises (ex. élection libre des bourgmestres), le durcissement des revendications à l’encontre du lien avec le Saint-Empire réduisait le seuil de tolérance des princes au profit du prince-évêque en exil .
Cette communication examine cette intervention prussienne en se concentrant sur les relations entre l’armée occupante, les institutions révolutionnaires et la justice impériale. Nous y abordons successivement les conditions juridiques de l’incursion, la réaction des autorités impériales puis les rapports, au sein de la principauté, que les militaires entretenaient avec les révolutionnaires et leurs demandes. Particulièrement, il s’agit de comprendre en quoi cette présence militaire a influé sur le travail constitutionnel de la Révolution liégeoise et comment elle a participé à l’affaiblissement de la justice impériale. De même, nous analysons ici le conflit juridique entre les institutions révolutionnaires, soutenues par la Prusse, et le gouvernement en exil, protégé par l’Autriche.
Aux premiers fonds institutionnels liégeois, conservés aux Archives de l’État à Liège, il faut ici ajouter, approche encore inédite, les importantes correspondances entretenues par les diplomates restés à Liège lors des troubles de 1789 à 1795, en l’occurrence le chargé d’affaires autrichien, le chargé d’affaires français et le ministre plénipotentiaire de Prusse. Celles-ci, à l’inverse des productions institutionnelles stricto sensu, exposent les enjeux et intérêts propres à la période d’occupation tout en servant de marqueur, presque quotidien, de l’évolution de la situation, confirmant aussi par là le constat de Paul Harsin que l’histoire définitive de la Révolution liégeoise restait à écrire.