Abstract :
[fr] En Belgique francophone, les soins trans-spécifiques sont principalement prodigués au sein d’une seule structure universitaire pluridisciplinaire. Bien qu’il n’y ait ni avantage majeur en matière de remboursement ni contraintes juridiques, les personnes transgenres restent majoritairement référées vers ce centre de soin tertiaire, y compris par d’autres endocrinologues et chirurgien·ne·s. Cette relégation des personnes transgenres en troisième ligne génère différentes problématiques : délais importants, barrière géographique, absence de choix des soignant·e·s, ainsi qu’un renforcement des disparités de pouvoir patient/médecin et un morcellement des soins en contexte hospitalier. Sur base d’une expérience clinique de première ligne en planning familial, d’une thèse d’exercice sur l’initiation du traitement hormonal en médecine générale, et d’un mémoire en études de genre sur l’accès au soin des personnes transmasculines, cette présentation, croisant sociologie et médecine, vise à offrir une réflexion sur les réaménagements nécessaires du paysage de soin trans-spécifique. Nous postulons une inadéquation entre l’offre de soin et la demande des personnes transgenres, d’une part, ainsi qu’entre la structuration des parcours trans-spécifiques et les évolutions du contexte socio-institutionnel, d’autre part. En effet, l’institutionnalisation du triptyque psychiatrie-endocrinologie-chirurgie est un reliquat d’impératifs législatifs désormais révolus plutôt qu’un idéal de prise en charge. Comparée aux soins de troisième ligne, la première ligne, largement désinvestie de ces questions, a pourtant des caractéristiques qui en feraient un espace de soin privilégié et non stigmatisant. Son approche de suivi longitudinal centrée sur la personne plutôt que sur la maladie est effectivement plus en phase avec les volontés de dépathologisation des transidentités. Confiner les soins trans-spécifiques au milieu hospitalo-universitaire contribue, quant à lui, à institutionnaliser l’exceptionnalité des corps et besoins de santé des personnes transgenres. Outre ces aspects, instaurer et coordonner les soins trans-spécifiques en première ligne accroîtra également leur disponibilité et leur qualité, en tirant profit des caractéristiques clés des soins primaires : la globalité de la prise en charge, l’intégration des soins, et l’accessibilité. Nous argüons donc qu’un changement de paradigme dans l’organisation des parcours trans-spécifiques est nécessaire. Une première étape en ce sens serait de former la première ligne afin qu’elle soit à la hauteur des missions qui lui incombent.
