Abstract :
[fr] Le traitement de l’anémie par érythropoïétine humaine recombinante est efficace et entraîne une amélioration de la survie et de la qualité de vie et une diminution du risque de complications cardio-vasculaires chez les patients insuffisants rénaux chroniques et dialysés. L’efficacité de ce traitement dépend toutefois principalement d’une fourniture adéquate de fer à la moelle érythropoïétique.Chez les sujets sains, chez qui les besoins en fer sont moindres que dans l’insuffisance rénale, la nécessité d’une supplémentation martiale a été démontrée dans la stimulation érythropoïétique. Lors de stimulations érythropoïétiques importantes, comme celles créées par le don de sang autologue dans les programmes d’autotransfusion supporté par rHuEPO, la disponibilité du fer peut également limiter l’érythropoïèse. En l’absence de supplémentation martiale, le succès de tels programmes est conditionné par la quantité de fer circulant mobilisable de départ mais ne dépend que peu du fer de réserve dont la mobilisation est trop lente. Cela démontre l’importance d’un apport extérieur de fer chez les sujets normaux engagés dans un programme d’autotransfusion. Nos travaux montrent que, malgré une utilisation d’une partie du fer de réserve, les collectes de sang étaient dépendantes d’une absorption digestive de fer qui augmentait de façon considérable. Nous avons démontré que l’activité érythropoïétique était un stimulant de l’absorption digestive de fer au moins aussi puissant que la déplétion des réserves.L’absorption digestive de fer chez les patients hémodialysés et IRC est souvent diminuée et il a été démontré qu’elle est insuffisante pour rencontrer les besoins associés à un traitement par rHuEPO. De plus la tolérance digestive est mauvaise et la compliance est donc médiocre. L’administration intraveineuse de fer est, de ce fait, nécessaire, mais non dépourvu de risques. Le dépistage du déficit martial fonctionnel est donc indispensable mais les paramètres classiques utilisés dans ce but peuvent se révéler sub-optimaux.La ferritine sérique, utilisée pour l’estimation du fer de réserve, est une protéine de la phase aiguë de l’inflammation. Elle peut donc surévaluer les réserves de fer dans l’urémie, considérée comme un état inflammatoire. Dans une population de sujets sains, nous avons montré que l’activité érythropoïétique et l’administration intraveineuse de fer pouvaient également fausser l’évaluation des réserves de fer. L’activité érythropoïétique diminue le pool labile de fer contenu dans les macrophages et la diminution de la production de ferritine qui s’ensuit peut donner une sous-estimation des réserves en fer. Lors d’une stimulation érythropoïétique intense, dans un état d’équilibre martial entre entrées et sorties, nous avons observé une augmentation de la FRT et donc une surestimation de l’évaluation du fer de réserve qui en est dérivée. Alors que dans ces conditions, la FRT devrait rester stable ou diminuer suite à la mobilisation du fer pour l’érythropoïèse stimulée, l’administration de fer intraveineux semble entraîner une augmentation de ce pool labile de fer intracellulaire, avec une stimulation de la production de ferritine qui ne représente alors plus de façon précise les stocks de fer de l’organisme. Le pourcentage de globules rouges hypochromes est considéré comme le meilleur prédicteur simple de la réponse à une charge martiale chez les patients hémodialysés traités par rHuEPO, témoignant de sa valeur diagnostique dans le déficit martial. Ce paramètre serait également le meilleur prédicteur en présence d’un syndrome inflammatoire. Nous avons pu démontrer, pour la première fois, que la présence d’une CRP augmentée influence positivement %HYPO. Dans cette étude, établissant les facteurs modulant %HYPO, ce paramètre était, comme attendu, influencé par les paramètres du monitoring martial, principalement le fer sérique et la saturation de la transferrine, mais moins la ferritine, pour les raisons déjà exposées. Des valeurs pathologiques de %HYPO étaient d’ailleurs retrouvées pour toutes les valeurs de ferritine jusqu’à 900 ng/mL. %HYPO était également corrélé à la dose de rHuEPO, reflétant le déficit martial induit par la stimulation érythropoïétique mais également la stimulation érythropoïétique en tant que telle. Le meilleur prédicteur simple de %HYPO était le taux de récepteurs solubles de la transferrine. Ce paramètre, connu pour être plus influencé par l’activité érythropoïétique que par le déficit martial, était lui-même corrélé, dans cette étude, à la fois à TSAT et à la réticulocytose. %HYPO semblait donc positivement influencé par l’activité érythropoïétique. Cette observation représente un désavantage pour le monitoring des besoins en fer des patients traités par rHuEPO chez qui le déficit martial fonctionnel cohabite avec l’augmentation de l’activité érythropoïétique.Chez les patients donneurs de cellules souches, chez qui la stimulation érythropoïétique a été poussée à l’extrême par de hautes doses de rHuEPO et des phlébotomies répétées, %HYPO s’élevait de manière très importante jusqu’à des valeurs de 40%. Cette élévation était présente malgré une supplémentation martiale adéquate, comme en témoignent les courbes superposables de fer prélevé et de fer injecté. De plus, l’augmentation de %HYPO débutait plus précocément que la chute de CHr. Il ne peut être exclu que le déficit martial participe à ce phénomène mais nous avons démontré que le rôle de la stimulation érythropoïétique était plus important. Nous avons établi une corrélation entre la production érythrocytaire et l’apparition de nouveaux globules rouges hypochromes, confirmant cette hypothèse.L’activité érythropoïétique induite par le traitement de l’anémie rénale est, cependant, nettement moins importante que dans la situation précédente. Dans la population de patients dialysés, nous avons montré une augmentation moindre de %HYPO en réponse à l’introduction de rHuEPO malgré une supplétion martiale adéquate (CHr constant). Cette augmentation était due à l’apparition d’une population érythrocytaire plus jeune avec un volume cellulaire plus grand et un contenu en hémoglobine normal, résultant en une diminution artificielle de la concentration en hémoglobine.Grâce à la technologie des nouveaux compteurs cellulaires, les indices cellulaires peuvent être déterminés séparément dans les populations réticulocytaires et érythrocytaires matures. L’étude des paramètres des érythrocytes matures semblait pouvoir répondre aux biais causés par l’activité érythropoïétique. Nous en avons donc determiné les valeurs de référence. La comparaison entre les indices réticulocytaires et ceux des globules rouges matures montrent que les réticulocytes sont 20% plus grands avec une concentration en hémoglobine 10% inférieure aux érythrocytes matures. Ces différences expliquent les biais qui peuvent être rencontrés dans l’interprétation des paramètres de routine. Par l’étude de diverses pathologies hématologiques, nous avons pu valider l’interprétation de ces paramètres. Dans l’anémie hémolytique autoimmune, dans laquelle l’activité érythropoïétique est importante sans déficit martial, l’interprétation des paramètres de routine menait à penser à un statut ferriprive alors que les paramètres des érythrocytes matures montraient une anémie plutôt macrocytaire et hyperchrome. Dans l’anémie ferriprive %HYPO et %HYPOm augmentaient de façon superposable en raison de la faible réticulocytose. De manière générale, toutes les pathologies étudiées, dans lesquelles la réticulocytose est normale ou basse, présentent les mêmes caractéristiques pour les indices des érythrocytes matures que pour les paramètres déterminés sur la population érythroïde globale. L’étude de corrélations a également montré que %HYPO était corrélé avec la réticulocytose mais pas avec le fer sérique, alors que %HYPOm était corrélé avec le fer sérique mais pas avec la réticulocytose. Ce paramètre rencontrait donc le but que nous recherchions.La détermination de la sensibilité et de la spécifité des indices globulaires matures dans la prédiction de la réponse à une charge martiale plaide en faveur de l’utilisation de %HYPOm dans ce but. Le fait que les patients inclus dans cette étude soient dans la phase de maintenance du traitement par rHuEPO fait que les différences entre les paramètres de routine et les paramètres des érythrocytes matures sont peu importantes et non significatives. Une étude dans la phase d’induction du traitement par rHuEPO pourrait augmenter la différence entre ces paramètres. Une telle étude est toutefois difficile à réaliser car les critères de réponse à la charge martiale devraient être établis différemment. Pour confirmer l’intérêt de ces paramètres dans le monitoring martial des patients dialysés traités par rHuEPO, une étude pharmaco-économique comparant les coûts du traitement par rHuEPO et des doses de fer administrées soit en fonction des directives internationales soit en fonction de %HYPOm pourrait être réalisée. Cependant, un nombre important de patients devraient être inclus pour que les résultats soient significatifs.En conclusion, ce travail confirme la nécessité, même dans une population considérée comme saine, d’un apport extérieur de fer lors de la stimulation érythropoïétique par érythropoïétine humaine recombinante, étant donné la mobilisation trop lente du fer de réserve. Dans cette situation, l’absorption digestive de fer est régulable et l’activité érythropoïétique semble être un stimulateur au moins aussi puissant que la déplétion martiale pour l’absorption intestinale de fer. La ferritine, habituellement utilisée dans le monitoring des réserves de fer, est un paramètre médiocre dans l’anémie rénale traitée par rHuEPO. En effet, en plus de l’effet bien connu de l’inflammation sur ce marqueur, nous avons montré que l’administration intraveineuse de fer entraîne une production de ferritine sérique inadéquate, probablement en réponse à l’augmentation du pool labile de fer. Ce phénomène semble plus important que l’effet de la diminution de ce pool labile en réponse à la stimulation érythropoïétique. La mesure de la ferritine surestime donc le fer de réserve dans l’anémie rénale traitée par rHuEPO et fer intraveineux. Le pourcentage de globules rouges hypochromes est un paramètre sensible et spécifique du déficit martial fonctionnel. Toutefois, nous avons démontré l’influence de l’inflammation et de l’activité érythropoïétique sur ce paramètre, pouvant biaiser son interprétation, pour le moins dans la phase de correction de l’anémie, quand une réticulocytose élevée cohabite avec un nombre d’érythrocytes matures faible. Les paramètres des érythrocytes matures ont été démontrés comme plus fiables pour l’interprétation des données dans diverses pathologies hématologiques. Ils présentent l’avantage d’exclure, au moins en grande partie, les biais entraînés par une réticulocytose élevée. La sensibilité et la spécificité de %HYPOm dans la prédiction de la réponse à une supplémentation martiale étaient supérieures à celles des autres paramètres habituellement utilisés, mais cette différence n’était pas significative en raison de la stabilité des patients étudiés. Son intérêt en clinique quotidienne reste à démontrer.