Vers des futurs habitables ? Tensions et négociations dans la fabrication des matériaux de demain

Cette proposition de communication s’appuie sur une enquête ethnographique réalisée auprès de praticiens et praticiennes de la biofabrication en Belgique. Partant du constat de la crise environnementale et des dégâts causés par leurs pratiques professionnelles, ces designers et architectes se réunissent pour travailler à élaborer, en alliance avec des microorganismes vivants, de nouveaux types de matériaux moins polluants. Ce faisant, les personnes dont il est ici question fabriquent des prises sur le futur et s’inscrivent dans le registre des « contre-anthropocènes » (Chateauraynaud & Debaz, 2019). Parce qu’elle est leur raison d’être et qu’elle les oriente, la question de l’avenir est toujours présente dans ces pratiques. Cet avenir est certes sombre mais, à l’échelle des pratiques d’élaboration de matériaux, il est possible d’agir et ainsi de participer à rendre le futur habitable sur une planète endommagée (Tsing, 2017). Le constat de la catastrophe en cours et à venir semble être une condition minimale pour s’engager dans la biofabrication, car c’est de l’acception de cette vision catastrophiste du futur que découle la « possibilité d’une perspective d’avenir alternative » (Sallustio, 2022). Or, la manière dont chacun de ces acteurs et actrices envisage l’avenir est à la fois ce qui les réunit et une source de conflit majeure : c’est dans la marge de manœuvre dont ils esXment disposer que réside une part importante des tensions observées. Puisque toute acXon compte, il convient pour certains de rester vertueux, dans une opXque de « poliXsaXon du moindre geste » (Pruvost, 2015). À l’inverse, puisque toute acXon semble compter, pour d’autres, il faut parfois accepter de comprome[re légèrement ses valeurs, si cela a pour effet de sensibiliser le plus grand nombre et ainsi d’avoir un impact significaXf. Je propose de décrire comment se donne à voir le conXnuum entre ces deux pôles, où se situent les personnes rencontrées, dont la posiXon évolue au gré des événements et demande une réorganisaXon du rapport à soi, aux non-humains (vivants et non-vivants) embarqués dans leurs praXques, aux autres, et au(x) futur(s).