Abstract :
[fr] Les mondes sociaux des professionnels de l’écrit sont une minorité dans les sociétés politiques de la fin de la Renaissance. Pourtant, nous nous interrogeons sur le gain de position de cette minorité à l’aune de sa mobilité fonctionnelle dans un espace transnational, celui des conflits intérieurs et extérieurs qui font suite à l’éclatement de l’unanimité confessionnelle en Europe au premier XVIe siècle. Notre contribution propose d’explorer quelles sont les identités prévalentes et stratégiquement mises en avant par les acteurs en contexte de guerres civiles et de conflits géopolitiques de forte intensité à la fin de la Renaissance. Trois grands pôles identitaires se dégagent des dossiers de sources que nous mobilisons. De l’identité nationale, confessionnelle ou professionnelle, laquelle tient la première place dans la conduite et les stratégies déployé es par les acteurs engagés dans une crise politique ? Il convient donc de débusquer comment les acteurs, en mobilité volontaire, régulière ou contrainte, choisissent prioritairement de se présenter, quelles ressources issues de quel pôle identitaire utilisent - ils alors, comment les autres acteurs, alliés ou oppositionnels, les perçoivent. En restituant les contradictions dans la présentation de soi, notamment au moment des épisodes de trahison, on peut également saisir de manière qualitative la perception par les acteurs eux - mêmes de ce jeu de navigation entre plusieurs pôles identitaires. L’utilisation de la complémentarité des ressources identitaires, fortement encouragée par les phénomènes de mobilité et de migration, peut enfin être relue sous l’angle des notions d’engagement et d’habitus. Cette réflexion permet d’entrer dans une autre histoire de l’État, des guerres de Religion et des conflits de la fin de la Renaissance, de redéfinir le périmètre des sociétés politiques ouest-européennes en conflit, d’appréhender l’histoire des transfuges, transferts et trahisons comme autant de vecteurs et d’occasions d’hybridation des modèles politiques de part et d’autre des frontières nationales et confessionnelles. En effet, des trois pôle s identitaires cités, il apparaît à l’étude des dossiers que nous produisons que c’est bien l’identité professionnelle qui est celle qui revêt l’importance la plus grande, offrant des ressources stratégiques et programmatiques expertes pour dénouer les mille occasions de conflit qu’offre le temps mouvant de la guerre. Ainsi, à l’école de Michel Dobry et de son apport en sociologie des crises politiques, nous souhaitons relire le moment 1585-1605 comme celui de l’avènement de l’identité professionnelle, s’imposant sur les autres pôles identitaires jusqu’alors prévalents. Toutefois, notre réflexion ne congédie pas les autres pôles identitaires qui recouvrent une importance décisive à l’époque moderne et c’est pourquoi nous nous bornons à montrer qu’en situation de crise et de conflit, l’identité nationale comme l’identité confessionnelle sont également mobilisées pour s’arrime r solidement aux compétences professionnelles.
[en] While the social worlds of professional writers were a minority in the political societies at the end of the Renaissance, this article examines the rise in status of this minority, gauging it against their functional mobility within a transnational space. This space is defined by the internal and external conflicts arising from the fragmentation of religious unanimity in Europe during the early 16th century. The study explores which identities were primarily and strategically foregrounded by key players during intense civil wars and geopolitical conflicts at the end of the Renaissance.
Three main identity pillars emerge from our source documents: national, confessional, and professional. Which of these holds the foremost place in the actions and strategies deployed by the actors engaged in a political crisis? The aim is to discern how actors, whether in voluntary, regular, or forced mobility, choose to predominantly present themselves, what resources they draw from these identity pillars, and how they are perceived by other actors, whether allies or opponents. By capturing the contradictions in self-presentation, especially during episodes of betrayal, one can qualitatively grasp actors' perceptions of navigating between multiple identity pillars.
The complementary use of identity resources, heavily influenced by mobility and migration phenomena, can further be interpreted through the lens of commitment and habitus. This reflection provides an alternative history of the state, the Wars of Religion, and the conflicts of the late Renaissance. It redefines the boundaries of West-European political societies in conflict and understands the histories of turncoats, transfers, and betrayals as vectors and opportunities for the hybridization of political models across national and confessional borders.
From the three aforementioned identity pillars, our research suggests that professional identity holds the most significant weight, offering expert strategic and programmatic resources to unravel the myriad conflict opportunities presented by wartime. Drawing inspiration from Michel Dobry's contribution to the sociology of political crises, we propose to reinterpret the period 1585-1605 as marking the rise of professional identity, overshadowing the previously dominant identity pillars. However, our study does not disregard the other identity pillars, which remain crucial in the early modern period. We merely aim to highlight that in crisis and conflict situations, both national and confessional identities are also mobilized, anchoring firmly to professional competencies.