Abstract :
[fr] Notre société fait face actuellement à un problème de santé publique
grandissant lié à la production et la présence croissantes de produits chimiques
synthétiques qui peuvent interférer avec notre système endocrinien. Ces
substances sont appelées perturbateurs endocriniens (PEs). Huit cents composés
chimiques sont actuellement considérés comme PEs. Cependant, la plupart des
nouvelles substances mises sur le marché ne sont pas testées pour leurs
éventuelles propriétés toxiques ou de perturbation endocrinienne. De plus, la
démonstration formelle de l’implication d’un PE donné reste difficile à établir en
raison de toutes une séries de caractéristiques qui leur sont propres : effets à
faibles doses sans suivre une relation dose-réponse nécessairement linéaire et, dès
lors, sans possibilité de définir un seuil de toxicité ; effets variables en fonction de
la période d’exposition ; exposition à des mélanges qui associent des dizaines voire
des centaines de PEs ubiquitaires dont la rémanence dans l’environnement et
l’organisme est variable et dont les effets surviennent après un délai variable et
parfois très long après l’exposition.
Les périodes fœtale et postnatale précoce représentent des périodes critiques
par rapport aux effets des PEs puisqu’elles sont caractérisées par une plasticité qui,
sous l’influence de facteurs environnementaux, permet la mise en place de
processus homéostatiques qui vont influencer l’état de santé de l’individu tout au
long de la vie. Cette programmation précoce de la santé répond au concept de
l’origine développementale de la santé et des pathologies (DOHaD).
Les données obtenues chez l’humain et chez le rongeur suggèrent qu’une
exposition périnatale aux PEs est associée à des altérations du contrôle de la
balance énergétique et de la reproduction qui peuvent se manifester plus
tardivement dans la vie. Cependant, à ce jour, les études n’ont pu identifier des
biomarqueurs précoces des effets de l’exposition aux PEs, qui pourraient justifier la
mise en place de stratégies de prévention vis-à-vis de l’exposition des femmes
enceintes et du jeune enfant.
C’est dans ce contexte que s’inscrit notre projet visant à identifier des
marqueurs précoces au niveau du placenta murin des effets de l’exposition au
Bisphénol A (BPA), un PE largement répandu dans notre environnement.
Dans la première partie de ce travail, nous avons montré que l’exposition durant
la gestation à une forte dose de BPA (10 mg/kg/jour) modifiait la méthylation de
l’ADN de certains gènes placentaires avec un effet différent selon le sexe. La même
exposition modifiait également l’expression de gènes spécifiques au sein des
placentas femelles. Ces premiers résultats ont montré que le placenta pouvait
fournir des biomarqueurs précoces de l’exposition au BPA.
Sur base de ces données, nous avons voulu étudier les altérations épigénétiques
et/ou transcriptomiques au sein des placentas femelles induites par une exposition
à des doses environnementales de BPA et de Bisphénol S (BPS), un substitut du BPA
de plus en plus utilisé en raison de la législation concernant l’utilisation du BPA.
L’exposition commençait une semaine avant le début de la gestation et les doses
utilisées étaient les suivantes : 4 µg/kg/jour, la dose journalière tolérable définie
par l’autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) pour le BPA et 25
ng/kg/jour, une dose cohérente avec l’exposition environnementale.
L’exposition au BPS 25 ng/kg/jour affectait le déroulement de la grossesse. La
proportion des femelles donnant naissance à des petits après la mise à mâle était
diminuée dans le groupe exposé à la plus faible dose de BPS comparé au groupe
contrôle. L’exposition à la plus faible dose de BPS entrainait également une
restriction de croissance fœtale et postnatale chez les femelles. Le timing
pubertaire de ces femelles n’était pas modifié après exposition prénatale et durant
la lactation à la plus faible dose de BPS.
Afin d’identifier les altérations transcriptomiques placentaires qui pourraient
médier les effets du BPA et/ou du BPS sur les paramètres de gestation et de
croissance fœtale et postnatale, un séquençage du transcriptome entier a été
réalisé au sein des placentas femelles. L’exposition environnementale au BPA et au
BPS modifiait de façon significative l’expression d’un faible nombre de gènes (BPA
25 ng/kg/j : 3 ; BPA 4 µg/kg/j : 6 ; BPS 25 ng/kg/j : 5 et BPS 4 µg/kg/j : 3). Parmi les
gènes dont l’expression était diminuée au sein des placentas femelles après
exposition au BPS 25 ng/kg/jour, 3 sont connus comme jouant un rôle dans
l’implantation et la placentation (Wnt7b, AABR07002659.1 and Fut2). En utilisant
une p-value moins stricte, une analyse plus globale des gènes dont l’expression
était modifiée après exposition au BPS 25 ng/kg/jour grâce à Gene Ontology a mis
en évidence l’implication de ces derniers dans le développement fœtal ou encore
dans l’axe placenta-cerveau.
L’exposition à la plus faible dose de BPS diminuait l’expression du gène Steroid
Receptor Coactivator 2 (SRC2), un coactivateur du récepteur aux oestrogènes au
sein des placentas femelles. En utilisant la technique du séquençage au bisulfite,
nous avons mis en évidence une diminution de la méthylation au sein du promoteur
de SRC2 après exposition à cette faible dose de BPS (25 ng/kg/j).
Sur base de ces résultats, il apparait que le transcriptome et l’épigénome
placentaire sont sensibles à l’exposition à des doses environnementales de BPA et
de BPS, et pourraient médier les effets de ces derniers sur le développement fœtal.