Quelle posture philosophique pour une éducation à la citoyenneté qui ne refoule pas le conflit ?

L’enseignement officiel en Belgique francophone s’est doté, depuis 2016, d’un nouveau cours intitulé, après maints débats, « Philosophie et citoyenneté » (CPC). Unique en son genre dans le paysage scolaire, il s’adresse aux élèves de 6 à 18 ans, de la première primaire à la dernière secondaire, dans toutes les filières (générale, technique, professionnelle). L’une de ses spécificités est d’allier en son sein deux disciplines qui ne font a priori pas bon ménage : l’éducation à la citoyenneté, d’une part, avec ses dérives possibles (moralisme creux, « religion » d’état contre-productive, formatage de « bons petits citoyens ») et la philosophie, dont la radicalité critique a tôt fait de faire voler en éclat toute velléité normative. Le cours de Philosophie et Citoyenneté constitue ainsi dans l’école un point de cristallisation où apparaissent plus nettement encore qu’ailleurs les contradictions de l’institution scolaire, coincée entre des injonctions paradoxales : transmettre des valeurs et des normes tout en développant l’esprit critique.
Pourtant, une certaine lecture des prescrits légaux (référentiel et programme du CPC), qui s’appuie sur leurs soubassements philosophiques, en particulier les conceptualisations de la démocratie par Claude Lefort et Jacques Rancière, nous permet de sortir de l’impasse et, sur base d’une conception renouvelée de la citoyenneté (et des moyens de son éducation), d’envisager le CPC comme un véritable lieu d’émancipation pour les élèves. Au cœur de ce projet repose une certaine posture de l’enseignant·e vis-à-vis des conflits entre différentes normes et valeurs qui surgissent à l’occasion du cours : la neutralité, elle-même redéfinie comme un équilibre entre deux écueils, l’orthodoxie d’une part, et le relativisme d’autre part. Les résistances des élèves aux valeurs de l’école ou de la société, voire leur défiance vis-à-vis de l’institution scolaire elle-même, ne constituent plus un problème à dépasser, mais la matière même du cours ; l’enjeu consiste alors à parvenir à exprimer le différend le plus finement possible pour mieux le problématiser ensemble, jusqu’à en faire un problème philosophique commun (« c’est notre problème »).
Je voudrais me saisir de cet ovni scolaire qu’est le CPC belge pour mettre au jour le modèle théorique qui le sous-tend et repenser les liens possibles entre école, philosophie et citoyenneté, en espérant esquisser par là quelques pistes fertiles pour penser une éducation à la citoyenneté qui ne refoule pas le conflit, mais le réfléchit, au double sens où il est visibilisé et pensé.