Abstract :
[fr] Premières lignes : XVIIIe siècle en France, crépuscule de l’Ancien Régime. Le roi concentre, provoque et surveille toute une économie des échanges et de la circulation de la parole, sur laquelle il tente de garder la mainmise. Dans son livre Dire et mal dire. L’opinion publique au XVIIIe siècle, l’historienne Arlette Farge montre par quels dispositifs — le plus souvent policiers — le pouvoir royal prend en charge « la gestion du bruit » de son peuple. En grand orchestrateur de la parole du peuple, le roi s’applique à réguler la rumeur, accordant la légitimité à certains discours, la refusant à d’autres. Louis XV était obsédé par l’opinion publique, prompt à embastiller celles et ceux qui rompaient les liens de fascination attendus. Il était incapable d’indifférence à ce qu’on pouvait dire de lui. Posture typique de l’exercice brutal du pouvoir : les bruits qui courent sont pour le roi une question vitale autant qu’un « simple » problème d’image. Aucune fissure ne peut être admise dans le miroir où le souverain contemple les effets de son pouvoir. Or la solidité de son image se mesure à l’amour de son peuple, et sa faillite potentielle aux expressions de désamour. Car le souverain — éventuellement tyrannique — exige, et c’est son droit naturel, une fidélité affective absolue. Il serait intolérable que le peuple puisse ne plus aimer son roi. Pour cette raison, les émeutes régulières et les débordements de la parole qui soulèvent la France pendant le XVIIIe siècle sont avant tout perçus par les garants du pouvoir monarchique comme écarts des sujets quant à l’attachement qu’ils doivent au roi. Cette exigence pesant sur l’amour englobe et structure tout le travail de gestion de la parole du peuple : et si l’on gronde, si l’on murmure, si l’on médit, si l’on parle mal, si l’on soupçonne des complots, si l’on injurie, si l’on produit du bruit, c’est toujours contre le roi. L’idée même qu’il serait « naturel d’exprimer ses avis et indignations » parait contre nature aux autorités, et réclame une répression organisée.