REPRÉSENTATIONS ET PRATIQUES SOCIALES AUTOUR DE L’ACCIDENT DE LA ROUTE AU BÉNIN

Cette thèse a pour but de montrer comment les représentations et pratiques sociales autour de l’accident de la route sont énoncées et discutées dans les contextes sociaux et culturels du Bénin. Dans une perspective pluridisciplinaire, la recherche croise deux problématiques à savoir l’accident comme un problème de santé publique et la sociologie de l’action publique. Elle a pour objectif de comprendre les facteurs qui contribuent à la survenue d’un accident, les sens et les représentations sociales qui lui sont associées, les pratiques d’interaction routière, le processus de construction des actions de prévention routière, la démarche de mise en œuvre ainsi que le rôle des différents acteurs en interaction.
Le corpus de données est constitué suivant une démarche de type socio-anthropologique basée sur l’enquête de terrain. La revue documentaire, l’entretien semi-structuré et libre et l’observation constituent les méthodes de la collecte des informations. La phase empirique de la recherche est marquée par une immersion ethnographique en trois phases. La première basée sur l’enquête exploratoire qui a couvert la période allant de juillet à septembre 2018 à Cotonou, Comé, Parakou, N’dali, Kandi et Malanville a été consacrée au ciblage des acteurs et à quelques entretiens en vue de cerner le problème et de définir l’objet. La deuxième phase est une enquête intensive en deux volets. Le premier qui s’est déroulé entre mai et juillet 2019 a été consacré aux entretiens approfondis avec les différents acteurs préalablement identifiés. Le deuxième volet a été consacré à l’observation in situ. Le chercheur s’est « embarqué » au sein des équipes d’intervention de secours des victimes d’accident à la Direction nationale du Groupement National des Sapeurs-Pompiers du Bénin. Il s’agissait de documenter le processus d’évacuation des victimes des lieux de l’accident vers les hôpitaux, les interactions entre les Sapeurs-Pompiers et les victimes d’une part et entre les Sapeurs-Pompiers et les agents de santé d’autre part. Ce séjour qui a couvert la période allant de juillet à septembre 2019 a permis de documenter dix cas d’accidents ayant nécessité l’intervention des Sapeurs-Pompiers. La troisième étape de la collecte a été consacrée à l’entretien semi-structuré approfondi avec les accidentés eux-mêmes. Elle s’est déroulée de février à avril 2021 à Cotonou et à Parakou. Il s’agit d’une enquête rétrospective auprès de 30 blessés faisant partie d’une base de données trauma constituée par l’équipe du volet épidémiologique du projet dans le cadre du suivi des victimes. Ces victimes avaient été recrutées dans plusieurs hôpitaux au Nord comme au Sud du Bénin. Au total, 113 informateurs ont participé aux entrevues. Ils ont été subdivisés en deux groupes à savoir le groupe des « consultants », c’est-à-dire ceux qui ont donné leur opinion sur les causes des accidents et les dispositifs d’actions et de prévention et le groupe des « expérimentés » que constituent les accidenté.e.s eux-mêmes. L’interprétation des données repose sur l’analyse catégorielle et l’analyse thématique de contenu.
Les résultats montrent deux modèles d’interprétation de l’accident. D’un côté il y a le modèle causal qui permet de mettre en relation les causes objectives et évidentes du système de circulation Homme Véhicule Environnement en se référant aux comportements des usagers de la route. De l’autre côté, il y a le modèle global qui recherche au-delà des causes, « le fond des choses », l’origine de l’accident. L’accident se prête à de multiples interprétations où se conjuguent à la fois le matériel et le symbolique, le spirituel et le non spirituel, le religieux et le non religieux. L’interprétation finale de l’accident se consolide par sa réinscription dans un continuum d’événements malheureux. Les informateurs pensent que l’accident peut être naturel ou provoqué par des procédés mystiques. Les catégories telles que Dieu et le destin sont évoquées pour expliquer que l’accident est naturel. L’accident provoqué renvoie aux quatre entités du registre de la persécution de la maladie selon les anthropologues de la santé, notamment : la vengeance par un ancêtre, la possession par un esprit, le maléfice humain, l’attaque par un sorcier. L’action publique de prévention des d’accidents relève de « bricolage » et de « tâtonnements » plutôt que d’un programme conçu de façon systémique et intégrée. Elle procède d’un ensemble d’actions fragmentaires et singulières qui produisent des résultats difficiles à évaluer afin de rendre compte de leur efficacité. Le Bénin ne dispose pas encore d’une politique nationale de sécurité routière. Le processus d’institutionnalisation reste inachevé.
En conclusion, la thèse permet de comprendre le hiatus entre les pratiques réelles des usagers de la route et le référentiel des politiques publiques de sécurité routière. La dimension anthropologique qui analyse le contexte social et culturel des usagers de la route et les responsabilités offre alors des pistes d’action qu’il convient d’explorer pour déconstruire les croyances et représentations sociales autour de l’accident. La faible contextualisation des actions constitue l’un des défis majeurs de la prévention routière.