[fr] Notre article part du constat qu’au cours des années 1940, la conception de l’aliénation de Sartre et de Beauvoir connaît une transformation importante. On passe de ce que nous proposons d’appeler une aliénation a posteriori (aliénation portant sur le destin d’une objectivation ou expression de soi dans le monde des autres) à la prise en compte d’une aliénation a priori, c’est-à-dire d’une aliénation constitutive de toutes les objectivations et expressions de soi, aliénation qui renvoie à la présence de l’autre dans la manière même dont chacun forme la personnalité (ou le moi). Par une étude précise des références et réseaux conceptuels du Deuxième Sexe de Beauvoir et des Cahiers pour une morale de Sartre, ainsi que par une reconstruction précise de la chronologie de rédaction de ces deux textes, notre article montre tout d’abord que ce renouvellement de l’idée d’aliénation s’opère de manière contemporaine chez Beauvoir et chez Sartre – ce qui permet de jeter un nouvel éclairage sur leurs rapports et échanges intellectuels. Mais nous montrons également que l’une de leurs sources majeures d’inspiration se trouve dans le texte du jeune Lacan Les complexes familiaux dans la formation de l’individu (1938). Sartre comme Beauvoir y découvrent une articulation originale entre psychanalyse et sciences sociales, qui intègre la dialectique intersubjective hégélienne. Ce texte lacanien constitue ainsi une sorte de feuille de route pour les transformations théoriques qu’ils réalisent dans l’après-guerre.
