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Abstract :
[fr] (Abstract - intro) Je commence par quelques éléments factuels de mise en contexte.
J’identifie d’abord le groupe ciblé par les problèmes que je voudrais décrire ici. Depuis quelques années, je donne cours à des étudiant·es-artistes (en cours de formation artistique) qui suivent une convention de master établie entre l’université et l’ESAVL (cette convention a été mise sur pieds par Carl Havelange). Ce sont des étudiant·es qui n’ont pas (ou disons pas encore) d’accroche naturelle avec le travail universitaire – et pour qui notre univers a son opacité propre (en termes de codes, d’attentes, de manières et de rythmes), opacité dans laquelle ils doivent s’aventurer avec des moyens parfois fragiles – notamment pour ce qui concerne la réalisation de travaux écrits. Pour le dire (trop) vite, je grossis un peu les traits pour poser le problème, on se trouve souvent soit devant des travaux qui miment l’allure, les normes et la rhétorique universitaire, ou plutôt ce que ces étudiant·es pensent être le style universitaire attendu – sur base de ce qu’on pourrait appeler un fantasme (assez malvenu/problématique ou en tout cas producteur d’effets finalement handicapants), soit devant des travaux qui adoptent des formats plus incongrus, bricolés, mais originaux ou personnels, devant lesquels, comme enseignants, on doit reconnaître qu’on se sent parfois tout aussi démuni. Donc le problème qui m’anime est le suivant : comment faire pour ne pas les détrousser de leurs puissances propres, pour ne pas mettre radicalement à distance leurs manières singulières de chercher, tout en trouvant un terrain commun (un terrain où l’enseignant aurait au moins quelque chose à dire). Donc : Comment faire pour que tout le monde se trouve en force ?
Certains de ces étudiants s’inscrivent ensuite en thèse dans l’École doctorale n°20 – Arts et sciences de l’art – la condition de base de l’inscription en thèse étant d’être diplômé d’une école artistique supérieure, et de présenter un projet de codirection entre un·e enseignant·e issu·e d’une de ces écoles et un autre issu de l’université. Ces artistes (qui ont pour le coup terminé leur formation artistique) s’engagent dans des recherches en équilibre entre théorie et pratique. Or de mon point de vue (un peu découragé par moments), cet « équilibre entre théorie et pratique » constitue sans doute notre fantasme propre (le fantasme des théoriciens). Ou en tout cas, malgré la séduction de l’idée, il y a là un point d’impossibilité (qui n’est pas tout à fait stérile puisque quelque chose nous relance sans cesse). On est toujours convaincu que cet équilibre doit être poursuivi, à l’avantage des deux parties, ça devrait marcher, ça doit marcher (il y a comme un urgence) mais dans les faits, il s’agit d’un problème pour lequel on imagine des résolutions souvent très abstraites (difficiles à mettre en œuvre). Je crois que l’« équilibre » entre théorie et pratique est précaire, et que les résultats ne sont pas encore très satisfaisants (il y a toujours quelque chose qui boite). Et non pas que les recherches ne soient pas elles-mêmes à la hauteur de je ne sais quelles attentes – mais plutôt que ces attentes ne sont pas vraiment définies. Il y a un angle mort. Ce n’est donc pas tellement un problème qui pèse sur les étudiant·es, qui seraient pris en défaut (de quelque chose qu’ils n’arrivent pas à articuler), mais sur l’environnement où ils choisissent de construire leur travail. Et ça, c’est un problème qui relève de notre responsabilité.