Abstract :
[fr] Lorsque nous pensons à nous-mêmes, à toutes les caractéristiques physiques ou
psychologiques qui nous définissent, à tous les objets que nous possédons, nous avons
l’impression qu’ils ont un statut bien particulier dans notre esprit, qu’ils sont spéciaux pour
nous. Notre propre visage est certainement parmi l’une des plus uniques et distinctives de
toutes ces informations autoréférentielles. Dans ce travail, nous nous sommes penchés sur
les spécificités du traitement visuel du propre visage.
Dans un premier chapitre théorique, nous avons questionné la possibilité d’utiliser le
traitement du propre visage comme un indice de conscience de soi (voir Chapitre 1).
Ensuite, nous avons passé en revue les différentes études existantes qui concernaient la
spécificité du propre visage ou d’autres informations autoréférentielles (voir Chapitre 2).
Suite à cette revue de la littérature, il est apparu que l’intuition selon laquelle notre propre
visage est un stimulus spécial n’avait pas pu être confirmée unanimement par les études qui
nous précédaient.
Ce travail ambitionnait donc d’évaluer empiriquement dans quelle mesure notre propre
visage est traité par le système cognitif de façon différente des autres visages que nous
rencontrons. Nous avons tenté de répondre à cette question selon trois angles différents.
Tout d’abord, nous nous sommes intéressés à la précision de la représentation de notre
propre visage en mémoire. Pour cela, nous avons utilisé dans notre première étude une
méthode psychophysique permettant de déterminer dans quelle mesure nous sommes
capables de détecter des modifications fines apportées à des photographies de notre propre
visage (voir Chapitre 4). Ensuite, nous avons examiné si la reconnaissance de notre propre
visage, mais aussi celle de notre propre corps, sont sous-tendues par des zones cérébrales
spécifiques. A cette fin, au cours d’une seconde étude, nous avons utilisé l’imagerie par
résonance magnétique fonctionnelle (IRMf, voir Chapitre 5). Enfin, nous avons testé si le
propre visage est particulièrement apte à capturer ou à retenir notre attention lorsqu’il est
présenté de façon inopportune alors que nous sommes occupés à réaliser une tâche sans
vi
rapport (voir Chapitres 6, 7 et 8). Pour ce faire, nous avons eu recours, dans une série de
trois études, à différents paradigmes attentionnels : un paradigme de jugement de parité, un
paradigme de cécité attentionnelle, et un paradigme de recherche visuel lors duquel nous
avons procédé à l’enregistrement des mouvements oculaires des participants.
Tout au long de ce travail, nous avons adopté une approche visant à différencier les effets
d’autoréférence de simples effets de familiarité. Pour ce faire, dans toutes nos études, nous
avons comparé les réponses obtenues lors de la présentation du propre visage du
participant à celles obtenues lors de la présentation du visage d’une personne hautement
familière pour le participant (un ami ou un collègue du même groupe d’âge et du même
sexe). Par ailleurs, dans les études attentionnelles, les réponses subséquentes à la
présentation de ces deux visages familiers étaient également comparées à celles obtenues
suite à l’apparition de visages de personnes inconnues. En somme, si les performances
obtenues sur le propre visage et le visage très familier différaient, nous pourrions penser
que ces différences sont dues à l’aspect autoréférentiel du propre visage. Par contre, si les
performances ne différaient pas entre le propre visage et l’autre visage très familier mais
que ces deux visages se distinguaient des visages inconnus, nous pourrions supposer que
nous sommes face à de simples effets de familiarité.
La première étude psychophysique a montré que la représentation que nous avons en
mémoire de notre propre visage est très précise. Cette précision est seulement limitée par
les capacités de discrimination perceptive de notre système visuel. Cependant, il en était de
même pour le visage d’une autre personne hautement familière. De ce point de vue, il ne
semble donc pas que notre propre visage soit spécial. Néanmoins, il semblerait que cette
représentation soit sous-tendue par des substrats cérébraux spécifiques, comme indiqué par
notre seconde étude en IRMf. Cette étude a aussi montré que notre propre corps serait
également traité par des régions cérébrales spécifiques. De plus, certaines régions seraient
dédiées au traitement abstrait de notre propre apparence physique puisqu’elles étaient
impliquées indépendamment du type de matériel présenté (visage ou corps). Enfin, nous
avons montré, grâce aux trois études attentionnelles, que le propre visage n’est pas un
distracteur exceptionnel par rapport à d’autres visages familiers. En effet, le propre visage
ne semble pas capturer l’attention de façon automatique. Il semblerait que le propre visage
vii
bénéficie simplement d’une allocation de l’attention préférentielle par rapport à des visages
inconnus. En d’autres termes, l’allocation de l’attention au propre visage est sujette à
diverses contraintes (par exemple sa localisation spatiale) et il semblerait que l’attention soit
nécessaire pour identifier le propre visage en tant que tel.
Cet ensemble de résultats est discuté dans un dernier chapitre (voir Chapitre 9) où nous
tentons de mettre les données provenant des trois perspectives différentes (représentation
en mémoire, substrats cérébraux et propriétés attentionnelles relatifs au propre visage) en
rapport. De plus, la possibilité d’utiliser le propre visage comme outil d’étude de la
conscience de soi ou de différents processus cognitifs (reconnaissance ou attention visuelle)
est brièvement passée en revue.