Abstract :
[fr] Contrairement à d’autres ordres juridiques, la Belgique ne connait pas d’état d’urgence
proprement dit. En effet, il n’existe pas de régime juridique extraordinaire que les autorités
peuvent activer, dans un contexte de crise, afin notamment de déroger aux droits
fondamentaux par-delà ce que permet le droit commun. L’article 187 de la
Constitution prévoit que la Constitution ne peut être suspendue en tout ou en partie. Si cette
disposition constitutionnelle a, dans des circonstances exceptionnelles, été factuellement
contredite en ce qui concerne le fonctionnement des institutions belges, elle impose aux
autorités une réserve et une vigilance certaines à l’égard des droits fondamentaux consacrés
par la loi fondamentale belge. Bien entendu, cela ne signifie pas que, dans le contexte d’une
situation d’urgence, il soit impossible de restreindre – même significativement – des libertés
fondamentales. Il n’en reste pas moins que les différentes autorités étatiques – qu’il s’agisse
des assemblées et gouvernements fédéraux ou fédérés, des gouverneurs de province ou des
autorités communales – ne peuvent jamais se dispenser, au nom d’une situation
extraordinaire, de respecter les droits fondamentaux. Placées sous le contrôle d’organes
politiques et juridictionnels, les autorités ne peuvent limiter l’exercice des droits
fondamentaux qu’en s’appuyant sur une base légale suffisamment précise et seulement dans
la mesure du nécessaire, dans l’optique de réagir au trouble qu’il convient de combattre.
À défaut de véritable régime d’état d’urgence, le droit belge connaît néanmoins différents
dispositifs juridiques susceptibles de fournir une base pour réagir à des situations d’urgence.
Dans le cadre du présent rapport, une attention particulière sera accordée aux deux types de
dispositifs juridiques qui ont été principalement mis en œuvre pour répondre, depuis mars
2020, à la crise sanitaire liée au coronavirus.
Il s’agit, d’une part, des pouvoirs de police administrative, qui désignent un ensemble de
pouvoirs attribués par ou en vertu d’une norme législative à différentes autorités afin de
permettre à celles-ci de répondre à un ou plusieurs troubles à l’ordre public, en restreignant
les droits et libertés des citoyens. C’est sur la base de différentes polices administratives que
les principales mesures destinées à limiter la propagation du coronavirus ont été adoptées,
parmi lesquelles, par exemple, des mesures de confinement, de fermeture de certains
établissements, ou encore d’interdiction de rassemblement.
D’autre part, nous nous intéresserons aux pouvoirs spéciaux. Ceux-ci désignent une technique
juridique par laquelle, en substance, une assemblée législative habilite un organe exécutif à
exercer, moyennant un certain nombre de conditions, des pouvoirs législatifs, en abrogeant,
complétant, modifiant ou remplaçant des dispositions législatives. Dans le cadre de la
pandémie de covid-19, la plupart des composantes de la Belgique fédérale ont attribué des
pouvoirs spéciaux à leurs organes exécutifs afin d’être en mesure de réagir promptement à la
crise et aux mesures de lutte contre celles-ci, dans des domaines aussi divers que l’économie,
les relations de travail, le fonctionnement de la justice ou encore celui des prisons.
La gestion de la crise sanitaire n’a pas manqué de soulever de nombreuses questions
juridiques, mises en exergue par les premières analyses doctrinales et résolues – ou non – par
l’intervention de différentes juridictions. Il en va par exemple ainsi des questionnements
relatifs au caractère suffisant des fondements juridiques des mesures de lutte contre la covid19 et, partant, de la légalité des sanctions imposées en cas de non-respect de ces mesures. Un
autre exemple est celui des débats relatifs à la proportionnalité des restrictions portées aux
droits et libertés fondamentaux engendrées par les mesures. A cela s’ajoute encore
l’inquiétude relative au contrôle politique des différents gouvernements et, plus
généralement, à la place des assemblées démocratiquement élues dans la gestion de crise. Plus fondamentalement, l’expérience liée à la pandémie invite à la réflexion en vue de
l’amélioration des normes qui régissent les situations d’exception dans l’ordre juridique belge,
dont le présent rapport propose une description non exhaustive, que le lecteur intéressé
pourra compléter, s’il le souhaite, par la lecture de la documentation de référence fournie à
l’appui de l’exposé.
Le présent rapport porte sur les normes adoptées et les faits survenus jusqu’au 1er avril 2021.
Commentary :
Ce document s’intègre dans une série d’études qui, avec une perspective de droit comparé,
visent à faire une présentation du « droit d’exception » dans différents États, avec une
attention spéciale aux bases juridiques qui permettent l’adoption de mesures d’urgence dans
un contexte de crise, comme par exemple la crise sanitaire provoquée par la pandémie de
covid-19.
La présente étude a pour objet le cas de la Belgique.