Abstract :
[fr] La ville d’Utique est considérée comme l’un des trois premiers comptoirs phéniciens de Méditerranée occidentale. Selon la tradition littéraire, elle aurait été fondée en 1101 av. J.-C., par des Phéniciens venus de Tyr au Liban. Néanmoins, dans l’état actuel des recherches, aucun vestige archéologique ne remonte au-delà du 9e siècle av. J.-C. Aux périodes phénicienne et romaine, Utique était une importante ville marchande faisant face à la mer. Au cours des siècles, la ville a perdu son accès à la mer et son port s’est envasé. Malgré plus d'un siècle d'investigation par les archéologues et chercheurs associés, l'emplacement des structures portuaires de la ville aux périodes phénicienne et romaine reste inconnu, enfoui sous plusieurs mètres de sédiments.
Partant de cette problématique archéologique, notre recherche s’est concentrée sur trois axes principaux : paléogéographique, géoarchéologique et palynologique. Basés sur l'étude pluridisciplinaire de carottages sédimentaires, les résultats ont montré que les fortes crues de l’oued Medjerda, qui coulait au sud de la ville à l'époque romaine, ont été un facteur majeur du déclin d'Utique et de l'ensablement de son port. En effet, au moment de sa fondation, la ville était située sur un promontoire baigné par la mer, mais les sédiments transportés par la Medjerda ont progressivement scellé la baie, laissant la pointe du promontoire d'Utique à 10 km à l'intérieur des terres. Une crise hydrologique majeure a été mise en évidence vers le 4e siècle ap. J.-C. Celle-ci est corrélée à une augmentation des taux de sédimentation dans le bassin-versant, qui semble correspondre à une dégradation climatique globale à la même époque. Les résultats mettent également en évidence l'existence d'une longue façade maritime au nord du promontoire d'Utique aux époques phénicienne et romaine. Un environnement marin profond est attesté dans l'ancienne baie au 6e mill. av. J.-C. et la profondeur de la colonne d'eau le long de la façade nord était encore de 2 m autour des 4e–3e siècles av. J.-C. Enfin, l’étude palynologique a montré l'existence de traces d'activités humaines dès le 3e mill. av. J.-C. La phase d'occupation phénicienne et romaine est caractérisée par une forte baisse des taxons forestiers, probablement due à des défrichements importants pour l'agriculture et le pastoralisme. L'olivier quant à lui est en augmentation, ainsi que les céréales. La crise érosive survenant à la fin de la période romaine s’accompagne d’une très forte augmentation de l'armoise, témoin d'une steppisation du paysage.
Ce travail illustre la contribution de la géoarchéologie à la résolution d’une problématique archéologique majeure et à la compréhension des relations entre cette importante ville portuaire et son environnement.
[en] Utica is considered, according to ancient literary tradition, as one of the first three Phoenician foundations of the Western Mediterranean, supposedly founded in 1101 BC by Levantines from Tyre. Nevertheless, until now, no archaeological remains date back beyond the 9th century BC. In the Phoenician and Roman periods, Utica was an important merchant coastal town, facing the sea. Over the centuries, the city has lost its access to the sea and its port has silted up. Despite more than a century of investigation by archaeologists and associated researchers, the location of the city’s harbour, dating from the Phoenician and Roman periods, remains unknown, buried under several meters of sediment.
Starting from this archaeological problem, our research focused on three main axes: paleogeographic, geoarchaeological and palynological. Based on the multidisciplinary study of sedimentary cores, the results showed that the strong floods of the Medjerda wadi, which flowed south of the city during Roman times, were a major factor in the decline of Utica and the silting of its port. Indeed, at the time of its foundation, the city was located on a promontory bathed by the sea, but the sediments transported by the Medjerda gradually sealed the bay, leaving the tip of the Utica promontory 10 km inland. A major hydrological crisis was highlighted around the 4th century AD. This is correlated with an increase in sedimentation rates in the watershed, which seems to correspond to an overall climatic degradation. The results also highlight the existence of a long maritime façade north of the Utica promontory during the Phoenician and Roman eras. A deep marine environment is attested in the ancient bay at 6th mill. BC and the depth of the water column along the north facade was still 2 m around the 4th–3rd centuries BC. Finally, the palynological study showed the existence of traces of human activities as early as the 3rd mill. BC. The Phoenician and Roman occupation is characterized by a sharp drop in forest taxa, probably due to significant clearings for agriculture and pastoralism. The olive tree is increasing, as well as cereals. The erosive crisis occurring at the end of the Roman period was accompanied by a sharp increase of Artemisia, witnessing a steppisation of the landscape.
This work illustrates the contribution of geoarchaeology to the resolution of a major archaeological problem and to the understanding of the relationships between this important port city and its environment.