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Abstract :
[fr] Les palabres, ce sont des moments pour se jeter doucement des histoires à la figure. Quand on ne s’entend pas sur quelque chose, quand on se dispute avec des idées, on pose ses fesses sur une pierre plate, et on essaie de comprendre pourquoi il n’y a pas d’accord, pourquoi on n’est pas d’accord. Bien sûr on ne trouve pas toujours de solution. Mais en disant ce qui coince, on s’évade plus loin, on s’écarte parfois un peu de nos points fixes, ceux sur lesquels on pensait ne pas vouloir céder, et on devient plus fort. La palabre est une rencontre souvent musclée pour raconter. En Afrique, il y a des lieux réservés aux palabres : on s’assied sous un arbre, un baobab par exemple, et on se lance dans la causerie. On cause sous l’arbre à palabres, qui offre de l’ombre aux conflits. Les conflits réclament du temps. Les baobabs sont des arbres très vieux, très hauts, et très larges qu’on trouve dans la savane. Ils stockent d’énormes quantités d’eau dans leur tronc, et on dit que les éléphants peuvent parfois percer leur écorce pour s’abreuver. Ce sont de bons remèdes à la sécheresse. On palabre quand on a des problèmes. Et justement, nous, on en tient un beau, de problème. On voudrait un musée différent, un musée qui sort de l’ordinaire, qu’on remplirait d’œuvres fabriquées par des artistes qui sortent de l’ordinaire. On a voulu appeler ce musée Trinkhall – en souvenir d’un lieu de divertissement où des femmes venaient jouer au billard et où des hommes venaient danser. On a voulu penser le Trinkhall comme musée des « arts situés », pour indiquer le problème qui nous obsède. Je vais vous raconter pourquoi. Les arts situés sont des arts qui osent dire d’où ils viennent, des arts qui laissent visibles les moyens de leur fabrication (ou qui laissent l’échafaudage quand l’œuvre est achevée, comme dit souvent un de mes amis), des arts qui n’ont pas de prétention à servir de modèle pour les autres, qui ne se prennent pas de haut, qui affirment leur singularité, des arts qui sont faits par des femmes (et ça se voit), des arts qui sont faits par des hommes (et ça se voit), ou par des femmes-hommes et des hommes-femmes, des arts de province, de village ou de paysage, des formes d’expression très locales, des arts d’occasion, des arts pour cercle réduit, des arts pour un seul jour (arts du dimanche, du lundi, du mercredi après-midi), des arts pour s’occuper les mains la tête le cœur (et c’est déjà bien), des arts pour s’envoler, des arts modestes, des arts sans coquetterie, des arts d’enquête, des arts qui prennent leur temps, des arts d’intensité, des arts contagieux, des arts analphabètes, des arts au hasard, des arts qui changent d’avis en cours de route, des arts expérimentaux, ou des arts maniaques. Le concept d’Arts situés est devenu pour nous un concept clignotant. Parfois on voit, parfois on ne voit plus. Clair-obscur. Mais quand on voit, quand on y voit soudain quelque chose, c’est souvent aux moments où on bataille pour des idées. On découvre des histoires qui font apparaitre des problèmes, des problèmes que pose l’art. On s’agite, on se dispute, on croise nos armes. On va palabrer alors.