Abstract :
[fr] Cette proposition de communication à quatre mains part du refus conjoint d’envisager les sources qui composent nos corpus comme autant d’exemples de processus historiques qui les débordent et de notre souhait de les considérer plutôt comme les productrices des normes et des écarts qu’elles mettent en texte. Nous souhaiterions revenir sur ce parti-pris méthodologique désormais largement partagé dans la recherche historique afin de montrer, à travers nos deux recherches doctorales, qu’il suppose de chaque chercheur une réflexion personnalisée sur l’usage de la source comme preuve de ses hypothèses. Dans le sillage des travaux de C. Ginzburg, J. Revel ou encore B. Lepetit, nous voudrions mettre en évidence que chaque construction de la preuve découle d’un dialogue mené entre l’objet étudié, les hypothèses posées et les corpus rassemblés. De cet exercice pragmatique naissent alors deux méthodologies distinctes et ancrées qui sont le fruit du même type de postulats. En présentant nos recherches de manière combinée, nous aimerions précisément faire émerger à la fois une communauté d’approche épistémologique et les variétés de méthodologie, de sources et de résultat que celle-ci autorise.
Julien Régibeau aimerait insister sur le rôle charnière joué par ses hypothèses et l’historiographie dans la construction d’une approche spécifique des sources et de leur usage. Dans sa thèse, il a étudié la reconfiguration du rôle politico-diplomatique de la papauté face à l’épreuve du congrès de paix de Westphalie (1639-1651). Son questionnement s’est construit contre, tout contre, une historiographie massive qui tendait, de manière répétée, à considérer la papauté comme la perdante de l’Europe nouvelle qui émergerait des traités signés en 1648. Émettant l’hypothèse que cette interprétation sans aspérité mériterait d’être complexifiée, il fonde sa méthodologie sur le dialogue avec les historiens qui l’ont précédé et sur la nécessité de sans cesse faire un pas de côté par rapport aux analyses existantes. Appliquant cette approche de l’écart à l’administration de la preuve, il a choisi de reprendre les corpus de ses devanciers – de la correspondance diplomatique – tout en donnant un nouveau statut à la source. Utilisant le moins possible l’exemplification, il exploite les documents sous la forme du cas ; que celui-ci soit paradigmatique ou limite dépend alors de son contenu propre et de l’écart qu’il s’agit de créer.
Alexandre Goderniaux souhaiterait quant à lui évoquer la manière dont une lecture indiciaire de la polémique produite durant les guerres de Religion permet d’émettre des hypothèses inédites à partir de ces textes et de résoudre des problèmes que les différentes approches historiographiques (propagande, opinion publique, lecture anthropologique) par le prisme desquelles ces sources ont été étudiées au XXe siècle n’ont pu élucider. Une série d’études de cas identifiera les résultats d’une analyse fondée sur l’interprétation, au sein de micro-corpus cohérents, d’éléments précis d’argumentation ou de constructions discursives : pour le chercheur, leur répétition constitue l’indice du besoin de défense de l’assertion ainsi justifiée, et leur apparition ou leur disparition soudaines en fonction d’éléments contextuels ou des positions politiques défendues permet de déterminer les objectifs de la production des textes étudiés. Ainsi, cette lecture indiciaire, puisant ses outils tant dans l’histoire culturelle que dans la rhétorique ou l’analyse du discours, exploite des traces qui enrichissent notre connaissance du passé de manière indirecte : elle permet tout à la fois, par la déduction, de combler les lacunes (anonymat, nature implicite des intentions de publication) propres à la polémique produite durant les guerres de Religion et, par l’inscription de ces éléments inédits dans leur contexte, de proposer une relecture des enjeux et du déroulement précis des conflits qu’ils mettent en texte.