Abstract :
[fr] Les recherches connues pour avoir analysé empiriquement les facteurs d’élucidation des homicides se réfèrent à deux écoles de pensée aux points de vue divergents. L’approche discrétionnaire, qui suggère que l’élucidation est affectée par l’appréciation, positive ou négative, de la police à l’endroit de certaines personnes par rapport à leurs attributs sociodémographiques (âge, sexe, race) ou leur appartenance à un statut social déterminé. Les adeptes de l’approche non discrétionnaire suggèrent pour leur part qu’en raison de la visibilité et de la gravité des homicides, les enquêteurs consentent le maximum d’efforts pour les élucider, indépendamment des facteurs extra-légaux. Cependant, en dépit d’un investissement important en termes de recherche, il demeure toujours difficile de se positionner pour l’une ou l’autre perspective explicative.
Au moyen d’un matériel empirique inédit, issu d’une région du monde dont les informations sur ce sujet sont plutôt rares, l’étude tente de répondre à des questions de recherche très peu explorées en criminologie francophone et quasiment méconnues en Algérie : qu’est-ce qui conduit à l’élucidation de l’enquête policière d’homicide ? Comment ? Et pourquoi ? Ensuite, l’élucidation dépend-elle des efforts d’investigation, ou bien ce sont les circonstances aléatoires du meurtre (autrement dit le hasard) qui déterminent le dénouement de l’affaire ? Enfin, compte tenu de l’engouement qu’elle suscite, autant dans les milieux professionnels de la police que dans l’imaginaire collectif, la preuve forensique affecte-t-elle les capacités d’élucidation des enquêteurs ? À terme, l’étude vise l’objectif général d’apporter une meilleure compréhension au processus d’élucidation des homicides, et fournir, par la même, davantage d’éclairage sur la validité des thèses développées en ce sens, à partir des connaissances disponibles en Amérique du Nord et en Europe uniquement.
L’étude repose sur l’analyse de 604 affaires d’homicide commis entre 2011 et 2014 sur l’ensemble du territoire algérien. La régression logistique est requise, d’abord, pour identifier les mesures corrélées à l’élucidation (analyses bivariées). Par la suite, les mesures révélées significatives sont intégrées dans des modèles logistiques, afin de déterminer le meilleur modèle prédictif, en fonction de son pouvoir explicatif et sa capacité de prédiction (analyses multivariées).
S’appuyant sur l’expérimentation statistique de près de 200 variables, dont un nombre important de mesures testées pour la première fois, cette étude exclusive en Algérie a donné lieu à des résultats qui corroborent certaines thèses sur l’élucidation des homicides, énoncées par la recherche scientifique en Amérique du Nord et en Europe. En substance, les résultats mettent en évidence au moins trois constats majeurs. D’abord, une contribution des efforts d’investigation plutôt modestes, comparés aux circonstances aléatoires du crime qui s’avèrent beaucoup plus décisives. Ensuite, l’apport marginal de la preuve forensique qui n’exerce qu’un effet négligeable sur l’issue de l’enquête comparativement aux autres facteurs d’élucidation. Enfin, la prépondérance des facteurs humains et relationnels (témoignages, aveux, dénonciations) qui semblent apporter à l’élucidation des homicides un appui beaucoup plus déterminant que les éléments techniques et expertaux (constatations, investigations techniques, expertise forensique).
