Abstract :
[fr] Introduction (pp. 9-11) : Le siècle dernier a connu l’avènement d’un art protéiforme. Empruntant toutes les voies possibles (voire impossibles) et imaginables (voire imagi- naires), l’artiste a mené la création sur tous les terrains. Une pissotière est une œuvre d’art. Un énoncé est une œuvre d’art. Une idée est une œuvre d’art.Aujourd’hui, Duchamp et ses suiveurs ont rejoint Victor Hugo et Raphaël au Panthéon des grands de l’art. Leurs créations ont pourtant défié — et défient encore — les théories de l’art et de l’esthétique. Car quelle identité établir entre un urinoir, Les Misérables et L’École d’Athènes ? Qu’est-ce qui peut faire d’une pierre ramassée sur la route, d’un pare-chocs d’une automobile accidentée ou du creusement et du remplissage d’un trou dans Central Park une œuvre d’art ? Suivant Nelson Goodman, « la véritable question n’est pas “Quels objets sont (de façon permanente) des œuvres d’art ?”, mais “Quand un objet fonctionne- t-il comme œuvre d’art ?” — ou plus brièvement [...] “Quand y a-t-il art ?” » La conception goodmanienne de l’art est une des voies employées par la théorie de l’art pour relever le défi posé par la création contemporaine. Elle n’est pas la seule. Tout comme la théorie de l’art n’est pas la seule disci- pline mise à mal par les pratiques artistiques actuelles, lesquelles se jouent également du droit, en général, du droit d’auteur, en particulier.En effet, le droit d’auteur se voit aujourd’hui confronté à de nouvelles créations qui prétendent au statut d’œuvre.Ce n’est pas la première fois qu’il est sollicité pour accorder sa bien- veillance à de nouveaux objets. Il y eut les arts appliqués, la photographie, le cinéma, les logiciels, les bases de données. Chaque fois, dans sa grande mansuétude — et parfois avec abnégation —, il a accordé sa protection de sorte que toutes ces créations, au même titre que les œuvres d’art classiques, sont des œuvres au sens du droit d’auteur.Quid des dernières productions artistiques ? La situation est délicate.La difficulté tient à la nature même de la création contemporaine et à son inadéquation avec les principes fondamentaux sur lesquels repose le droit d’auteur. Car l’art, depuis Duchamp, est conceptuel. Le xxe siècle a produit du sens. Il a produit des idées. « Art as idea as idea », suivant la formule de Kosuth. Or l’un des piliers du droit d’auteur et, de manière générale, de tout le droit de la propriété intellectuelle consiste en l’absence de protection des idées.Comment un droit qui ne s’attache qu’à la forme peut-il appréhender un art dématérialisé? C’est à cette question que nous tâcherons d’apporter une réponse, en revisitant la notion de forme. Mais, comme on le verra, la réponse que l’on apportera à cette question particulière permettra l’émergence d’un nouveau paradigme en droit d’auteur, aux conséquences potentiellement multiples. Ainsi, loin d’être le bourreau du droit d’auteur, l’art contemporain se révé- lera peut-être être son salut.Après avoir rappelé quelques notions de base du droit d’auteur et de la notion d’œuvre en particulier (II), nous analyserons la manière dont doc- trine et jurisprudence ont envisagé la question de la forme en droit d’auteur (III). Nous concentrerons ensuite nos recherches sur l’œuvre d’art concep- tuel et tenterons, par une voie inédite, de définir juridiquement la forme de pareille œuvre (IV). Il sera alors temps de conclure et d’émettre une série de considérations générales qui dépassent de loin le cadre de cette étude (V).