Abstract :
[fr] Boutique d’estampes devenue librairie, imprimerie lithographique et bureau de rédaction de presse, la maison Aubert s’assure l’hégémonie du marché de l’album illustré comique et de la petite presse satirique dans les années 1830-1860. Le Charivari, prolongement et emblème des productions Aubert, connaît de 1832 à 1937 une remarquable longévité, marquée par les aménagements de sa ligne éditoriale, en particulier après les lois de censure du dessin politique en septembre 1835, et par les reventes pour survivre aux amendes des condamnations. Si le premier quotidien satirique illustré crée un phénomène de société lié au «culte adoripoire», il constitue surtout une marque de fabrique de l’équipe de journalistes, dessinateurs, imprimeurs et publicistes fédérés et en grande partie lancés dans le métier par Charles Philipon. Aborder les sociabilités journalistiques dans une période qui précède de peu l’an I de l’ère médiatique et qui en accompagne ensuite les premiers développements permet d’observer comment une publication périodique répartie sur des supports distincts au sein d’un même réseau éditorial se réapproprie, sur les plans figuratif et discursif, la collectivité dont elle doit nécessairement procéder pour assumer l’ensemble des tâches, en s’en ressaisissant comme d’un projet esthétique. Les sociabilités affichées dans les manières d’assigner une identité à ses collaborateurs effectifs redoublent certes des adhésions professionnelles généralement décidées en amont. Mais la contrainte initiale s’est progressivement intériorisée en posture médiatique et en poétique d’écriture, comme le montrent les liens complexes établis en mots et en images avec l’éditeur et l’illustrateur, à travers nombre de scénographies qui rapprochent le journaliste-écrivain du premier posé en figure impérieuse mais avisée, et du second présenté en figure tutélaire dont le style visuel pourrait trouver un équivalent textuel. Ces constats rencontrent, en définitive, les paradoxes d’un rire à la fois frondeur et consensuel.