Abstract :
[fr] Les juridictions nationales, européennes et internationales sont quotidiennement amenées à vérifier si les droits fondamentaux consacrés par le droit positif sont effectivement respectés par les autorités étatiques. L’exercice rigoureux de cette mission suppose notamment que les juges compétents prennent en considération divers éléments factuels, afin de pouvoir apprécier si, dans une situation donnée, une mesure – ou l’absence de mesure – doit être considérée comme source de la violation d’un droit fondamental. Parmi ces éléments, la notion de « risque » joue un rôle particulièrement significatif. En effet, le juge est fréquemment amené à se demander s’il existe un risque caractérisé d’atteinte à un objet protégé par les droits fondamentaux qui aurait dû convaincre les autorités étatiques, soit d’agir, soit de s’abstenir d’agir, afin de prévenir la réalisation de ce risque et, le cas échéant, la violation d’un droit fondamental. Par risque caractérisé, on entend, aux termes notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme un risque « réel et immédiat » dont l’autorité avait – ou aurait dû avoir – connaissance.
Dans l’Europe en crise, à laquelle le colloque propose de s’intéresser, les risques auxquels les autorités étatiques sont confrontées sont nombreux et variés. On peut penser, par exemple, aux risques d’atteinte à la vie humaine engendrés par la menace terroriste, aux risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de refoulement de migrants vers leur pays d’origine ou encore aux risques de dégradation de l’environnement provoqués par certaines activités humaines. Ce sont, en première ligne, les autorités politiques et les administrations qui, pour assurer le respect des droits fondamentaux, doivent évaluer et prendre en considération ces risques. Les juridictions, lorsqu’elles sont saisies, sont susceptibles d’exercer un contrôle marginal sur la manière dont les risques ont été appréhendés.
Or, l’évaluation des risques (ou le risk assessment, si l’on reprend la terminologie utilisée en langue anglaise) est une opération intellectuelle complexe. Elle est l’objet d’une littérature scientifique et technique foisonnante qui en examine notamment les enjeux et les modalités. Il s’agit en particulier de proposer des mécanismes qui permettent d’objectiver l’évaluation des risques et de la rendre la plus fiable possible, sur les plans quantitatif et qualitatif. Le développement des technologies offre par ailleurs des outils qui permettent de mieux prévoir certains risques ; l’utilisation des big data, par exemple, peut aider à prévoir certains évènements, voire certains comportements humains.
Face à ces constats, nous proposons, d’une part, d’examiner la manière dont les juges procèdent concrètement à l’évaluation des risques dans les situations factuelles qui leur sont soumises et, d’autre part, d’observer les conséquences juridiques qu’ils en tirent en ce qui concerne la protection des droits fondamentaux. En nous focalisant sur des cas choisis dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, nous nous demanderons spécialement si les juges s’inspirent de la littérature sur l’évaluation des risques ou s’ils raisonnent davantage de manière empirique, voire instinctive.