Abstract :
[fr] En Belgique, un adulte sur quatre de plus de 15 ans souffre d’une maladie chronique, la proportion augmentant avec l’âge. Sur les 230 000 habitants de l’agglomération liégeoise, environ 53 000 souffre d’au moins deux maladies chroniques, soit donc une situation de multimorbidité. La présente étude s’intéressait à la manière dont sont vécues ces situations de multimorbidité en tant que phénomène social redéfinissant pour partie l’existence individuelle. Une étude par triades a été menée : étaient interrogés, par entretiens semi-dirigés, un malade multimorbide, son aidant proche, ainsi que l’un des soignants intervenant dans la prise en charge. De la sorte, 8 triades ont été étudiées.
Cinq dimensions principales ressortent de l’analyse et structurent le rapport :
1) Le rapport aux maladies et au statut social de malade chronique : l’expérience de la maladie diffère d’un malade à un autre, tous ne se reconnaissent pas dans le diagnostic et les comportements attendus de la part du monde médical ou de leurs aidants proches. L’acceptation du statut constitue, en ce sens, une variable importante pour saisir la façon dont le malade répond à cet épisode biographique de la multimorbidité.
2) La place de l’entourage dans la gestion au quotidien des maladies et de leurs conséquences. Ressortaient l’importance de la présence et de la disponibilité des aidants proches, les différentes formes d’aide apportée, mais également les conséquences parfois délétères de ce statut d’aidant proche, qui pouvait représenter un poids difficile à supporter, avec des conséquences en matière de gestion de son temps ou d’impact sur le moral – a fortiori lorsque le malade n’acceptait que difficilement son statut de malade chronique.
3) L’articulation entre prises en charge professionnelle et profane. Trois cas de figure ont été retrouvés quant à cette articulation. L’absence de considération de la prise en charge profane par les professionnels de santé en premier lieu ; l’articulation entre ces deux types de prises en charge, qui se complètent et s’ajustent ; la mise en concurrence entre les deux types de prises en charge, soit par le malade qui préfère recourir à son aidant proche pour certaines tâches, plutôt qu’aux professionnels, soit par l’aidant proche, qui considère être plus à même de remplir ces tâches que les professionnels.
4) La place de la prise en charge professionnelle, et le rapport entretenu avec le malade. Y étaient abordées la question des interactions professionnels/malades et l’importance de la prise en charge personnalisée, les attentes respectives, la place des professionnels dans le réseau de soins, mais aussi les stratégies développées par les patients pour garder une certaine autonomie face à ces professionnels de santé.
5) Enfin, la recherche d’informations (notamment sur Internet), ainsi que les problèmes administratifs parfois rencontrés par les malades et leur entourage.
L’analyse de ces cinq dimensions permet de mieux saisir quelle est la réalité du vécu des malades multimorbides pour les malades eux-mêmes, mais aussi pour l’entourage et les professionnels de santé, révélant au passage quelques divergences d’interprétation de la situation entre les trois types de protagonistes des triades. Elle révélait également les ressources inégales que les protagonistes pouvaient mettre en œuvre, ainsi que l’importance de tenir compte du milieu social des individus, qui détermine également pour partie la possibilité de faire face à ces changements biographiques. Ces aspects sont parfois délaissés par les politiques publiques, qui se centrent davantage sur les ressources personnelles des individus, sans tenir compte des inégalités sociales de santé qui constituent une entrave à l’équité en santé.