Abstract :
[fr] Depuis Loin d’eux jusqu’à Continuer, l’ensemble des textes de Laurent Mauvignier aborde selon des situations narratives diverses la question de la difficulté de dire et de l’incommunicabilité. Chacune de ses publications invoque en effet l’enjeu et la nécessité de faire advenir une parole personnelle qui rendrait compte des limites du langage le plus souvent pour surmonter un évènement traumatique tantôt intime et singulier (Loin d’eux, Ceux d’à côté, Apprendre à finir, Tout mon amour, Retour à Berratham), tantôt collectif et universel (Dans la foule, Des hommes, Autour du monde). Chaque récit est ainsi traversé par le rapport au silence tant point de vue de ses composantes formelles que des conditions d’existence qui caractérisent les nombreux protagonistes, soulignant du coup l’aporie selon laquelle s’il est impossible de parler, il est tout aussi impossible de se taire.
Au sein de cette œuvre, le roman Ce que j’appelle oubli (2011), relativement négligé par la critique, constitue selon nous le parangon de cette dialectique entre la violence du cri -qui serait celui du texte- face à la violence du silence -celui des personnages auxquels donne corps le récit. Celui-ci raconte le fait divers sordide d’un démuni tabassé à mort par les vigiles d’une grande surface pour la canette de bière qu’il a bue sans l’acheter. L’évènement est envisagé sous la forme très spécifique d’un long monologue d’une seule phrase adressé à un « tu » qui jamais ne répond. Nous serons sensible à ce choix énonciatif par lequel le récit se confond inévitablement avec le discours, opérant par ailleurs un brouillage des frontières entre intériorité et extériorité, entre discours social et parole intime.
Nous nous attacherons dès lors à montrer en quoi divers procédés formels (à la fois syntaxiques, narratifs et énonciatifs : marques -ou absences de marques¬¬- typographiques, anacoluthes, ellipses, analepses, polyphonie, flux de parole, phrase non clôturée, etc.) sont mobilisés pour mettre en confrontation à la fois la menace du silence et sa fécondité. Nous décrirons en effet comment Ce que j’appelle oubli exprime un paradoxe au cœur des préoccupations de la littérature contemporaine : aborder littérairement l’indicible (ce mot « plein d’aura [dont] la valeur excède le sens » ) implique d’emprunter la voie du langage pour mieux amorcer, traverser et finalement dépasser les déficiences et les impossibilités de celui-ci, que le Nouveau Roman avant Mauvignier avait diagnostiquées.
Event name :
Le roman de l’extrême contemporain : formes, esthétiques, généalogies Domaine français et francophone