Abstract :
[fr] Les indicateurs chiffrés disponibles tant au niveau des plaintes en matière d’abus sexuels que des réactions judiciaires qui y font suite, loin de renvoyer à une image d’homogénéité entre pays ou de constance dans le temps, indiquent bien, plutôt, des diversités et des mouvances importantes. L’objectif de cette contribution est tout d’abord de rendre compte et d’analyser cette hétérogénéité et ces évolutions sur base d’un examen spécifique des statistiques collectées, au niveau européen, dans le cadre du European Sourcebook of Crime and Criminal Justice Statistics. Des données disponibles en la matière au niveau national, pour la Belgique, seront également mobilisées.
Ce vaste recueil de données chiffrées a été initié en 1993 dans le giron du Conseil de l’Europe et couvre 41 pays dans la dernière édition de l’enquête dont les résultats ont été publiés en 2014. Il fournit des informations précieuses pour étudier les tendances observables au niveau des plaintes et des interventions judiciaires en matière d’infractions à caractère sexuel, ceci sur base de statistiques collectées aux différentes phases du fonctionnement du système de justice pénale : au niveau policier, au niveau des autorités de poursuite, au niveau des condamnations et enfin au niveau pénitentiaire.
La littérature scientifique récente en matière d’économie politique de la pénalité (Political Economy of Punishment) met en avant les correspondances entre une hétérogénéité des modèles de société capitalistes et la variété des modes et niveaux de pénalité. Les différents pays peuvent ainsi être situés, très grossièrement, sur un axe où se profilent aux deux extrémités le modèle néo-libéral (1) et le modèle coordonné socio-démocrate (2). Le premier mise sur la régulation par le marché et se caractérise par des inégalités plus importantes, des dépenses sociales faibles, une exclusion sociale importante et au niveau politique un système de démocratie majoritaire et une dominance politique plus à droite. (2) Le second est, quant à lui, plus fortement régulé par les institutions et l’Etat et l’on y observe les plus faibles inégalités, les dépenses sociales les plus élevées, une exclusion sociale plus faible, et au niveau politique un système de démocratie consensuelle et une dominance politique plus à gauche. Sur base d’indicateurs chiffrés, des relations significatives très nettes ont été établies de façon récurrente entre ces différents modèles et des modes et niveaux de pénalité distincts, le premier type de modèle se conjuguant, en caricaturant quelque peu, à une pénalité bien plus lourde que le second.
Quelle place occupe l’intervention de la justice en matière d’agression sexuelle dans cette correspondance mise en évidence entre modèles de société et modes de pénalité ? Les indicateurs statistiques disponibles permettent-ils de dégager une quelconque relation en ce qui concerne spécifiquement cette « figure criminelle » particulière que constitue l’agression sexuelle? Comment ensuite interpréter les résultats ? Et enfin quels enjeux ces questions soulevées sur le plan macro-social peuvent-elles concerner sur le plan de la prise en charge individuelle ?