La pensée est «un entretien de l'âme avec elle-même, se produisant au-dedans de celleci sans le concours de la voix» (PLATON, Sophiste, 263 e)
c'est-à-dire qu'elle est «une conversation que l'âme poursuit avec elle-même sur ce qui est éventuellement l'objet de son examen» (PLATON, Théétète, 189 e).
On retrouve une telle définition dans les différents courants constituant l'horizon philosophique de notre temps. Citons ainsi, à titre d'exemple, Kant, pour qui «penser, c'est parler avec soi-même.» (E. Kant, Anthropologie [trad. Foucault], Paris, Vrin, 2002, § 39, p. 103)
ou encore Peirce: «La pensée procède sous forme de dialogue entre les différentes phases de l'ego». (C. S. PEIRCE, Collected papers, Cambridge, Harvard University Press, 1931-1935, 46).
«on peut se demander légitimement si le discours intérieur du cogito n'est pas déjà un mode dérivé de l'entretien avec autrui; si le symbolisme linguistique dont use l'âme "s'entretenant avec elle-même" ne suppose pas un dialogue avec un interlocuteur autre que soi; si l'interruption même de l'élan spontané de la pensée réfléchissant sur elle-même, et jusqu'aux alternances dialectiques du raisonnement où ma pensée se sépare d'elle-même et se rejoint comme si elle était autre qu'elle-même, n'attestent pas d'un dialogue originel et préalable.» (E. LEVINAS, «Le dialogue», De Dieu qui vient à l'idée, Paris, Vrin, 1998, p. 224).
Sur l'histoire de ce concept typiquement allemand, on se reportera à l'article de A. DIEMER, «Geisteswissenschaft», Historisches Wörterbuch der Philosophie, vol. 3, Bâle, Schwabe Verlag, 1974.
Notons que, bien avant Dilthey, Friedrich Schlegel utilise le terme «Geist» en un sens moderne et forge l'idée d'une science de l'esprit voir F. SCHLEGEL, KA 8, p. LXIX
KA 18, p. XXVIII.
Dans cet article, nous utilisons KA pour renvoyer à F. SCHLEGEL, Kritische Ausgabe (Behler éd.), Paderborn, Schöningh Verlag, 1958 sq.
Pour les traductions partielles de Schlegel, CH fait réfé rence à D. THOUARD, Critique et herméneutique dans le premier romantisme allemand, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 1996
et Symphilosophie à D. THOUARD éd., Symphilosophie. F. Schlegel à Iéna, Paris, Vrin, 2001. Les annotations entre crochets qui suivent parfois le numéro de la page dans l'édition critique de Schlegel indiquent le numéro du fragment.
«Nur diejenige Verworrenheit ist ein Chaos, der eine Welt entspringen kann.» (F. SCHLEGEL, Ideen. KA 2, p. 97 [71]).
«Est-ce que philosopher sur un objet ne signifie pas autre chose que le potentialiser?» (F. SCHLEGEL, Philosophie der Philologie, KA 16, no225; CH, p. 210).
«romantisieren ist nichts, als eine qualit[ative] Potenzierung.» (NOVALIS, Schriften [Samuel éd.], vol. 2, p. 545, fragment 105).
«Aber denke Dir alle menschlichen Gedanken als ein Ganzes, so leuchtet ein, daß die Wahrheit, die vollendete Einheit, das nothwendige, obschon nie erreichbare Ziel alles Denkens ist. (...) Und laß mich hinzusetzen, daß der Geist des Systems, der etwas ganz anders ist als ein System, allein zur Vielseitigkeit führt - welches paradox scheinen kann, aber sehr unlaügbar ist». (F. SCHLEGEL, Briefe an A.W. Schlegel [28.08.1793], KA 23, p. 129). Dans un même ordre d'idée, Schlegel écrit dans l'Athenaeum: «Es ist gleich tödlich für den Geist, ein System zu haben, und keins zu haben. Er wird sich also wohl entschließen müssen, beides zu verbinden» (Fragmente, KA 2, p. 173).
NOVALIS, Encyclopédie [trad. Gandillac], Paris, minuit, 1966, p. 71.
«Das allgemeine Brouillon» [1798/9] (ibid., t. III, p. 123).
Le mysticisme n'est en fait qu'une sous-catégorie (Abart) de la philosophie au même titre que l'empirisme et le scepticisme, auxquels il doit se conjuguer. Voir F. SCHLEGEL, KA 18, p. 4, n. 6.
Sur ce thème, voir E. BEHLER, Frühromantik, Berlin, New York, De Gruyter, 1992, p. 253-254.
Benjamin qui souligne le caractère positif du concept romantique de critique ne manque pas de l'inscrire dans la continuité du concept kantien. Cette accentuation positive du concept de critique s'écarte moins qu'on pourrait le croire de l'usage kantien. Kant, dont la terminologie n'était pas médiocrement imprégnée d'esprit mystique, l'avait préparée lorsque, en rejettant les deux point de vue du dogmatisme et du scepticisme, il leur opposa non pas tant la vraie métaphysique, où son système devait culminer, que la «critique» au nom de laquelle il fut inauguré. (W. BENJAMIN, Le concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, Paris, Flammarion, 1986, p. 88-89).
Sur le rapport de Schlegel aux Lumières, voir D. THOUARD, «Qu'est-ce que les Lumières pour le premier romantisme ? Chimie, Witz, maximes et fragments: Friedrich Schlegel et Chamfort», Texto! 2003. Disponible sur: .
Voir J. REID, L'antiromantique. Hegel contre le romantisme ironique, Laval, Presses universitaires de Laval, 2007.
Voir D. THOUARD, Schleiermacher. Communauté, individualité, communication, Paris, Vrin, 2007.
«Gemeinschaftlich Selbstdenken» (F. SCHLEGEL, KA 11, p. 119; 12, p. 210).
Cf. C. BERNER, «Polémique, conflit, contradiction. notes sur la fondation dialectique de la philosophie chez Schlegel, Schleiermacher et Hegel», Philosophie, 1996, no51.
Compagnon a tout à fait raison de s'insurger contre une fausse étymologie de dialogue qui en fait une logique entre deux interlocuteurs. Un dia-logue n'est pas un di-logue! Voir A. COMPAGNON, «Notes sur le dialogue en littérature», in Luzzati et alii dir., Le dialogique, Bern, Berlin, Frankfurt Am M., Peter Lang, 1997, p. 231.
M. BAKHTINE, «La structure de l'énoncé» in Mikhaïl Bakhtine: le principe dialogique. Suivi de Écrits du cercle de Bakhtine, todorov éd., Paris, Seuil, 1981. Notons qu'on trouve déjà les éléments d'une telle réflexion chez les romantiques. Quand novalis décrit ce qu'il entend par 'discours', il montre qu'il contient des éléments dialogiques.
«Die metaphysik ist von langen Zeiten, ja von meiner jugend her [seit 1790] die Hauptbeschäftigung meines Lebens gewesen.» [7 nov. 1812] in Aus F. H. Jacobi's Nachlass. Ungedruckte Briefe von und an Jacobi und Andere. Nebst ungedruckten Gedichten von Goethe und Lenz, R. Zoeppritz éd., Leipzig, W. Engelmann, 1869, vol. 2, p. 104.
F. SCHLEGEL, «Von der sokratischen und platonischen Dialektik» [1805-1806], KA 13, 2, (trad. m.-D. richard, p. 552).
F. SCHLEGEL, Métaphysique [aubergenville 1806-1807], KA 13, vol. 2, p. 44.
«Ein Dialog ist eine Kette, oder ein Kranz von Fragmenten. Ein Briefwechsel ist ein Dialog in vergrößertem maßstabe, und memorabilien sind ein System von Fragmenten.» (F. SCHLEGEL, Fragmente, KA 2, p. 176 [77]).
Si Schlegel voit dans la symphilosophie une activité partagée, il parle aussi de la vie de l'homme comme d'une «symphilosophie intime» (F. SCHLEGEL, KA 2, p. 164).
Sur le perspectivisme de Schlegel, voir C. BRAUERS, Perspektiven des Unendlichen. F. Schlegel ästhetische Vermittlungstheorie, Berlin, Erich Schmidt, 1996.
«La philosophie est infinie. aucune philosophie ne peut donc être considérée comme la vérité (c'est-à-dire la vérité absolue)» (F. SCHLEGEL, Vorlesungen über Transzendental-philosophie [1800-1801], Symphilosophie, p. 181).
«Das Fragment muß so angelegt sein, daß es eine ebenso intensive wie sprühende anstrengung zur Ergänzung provoziert» (R. BUBNER, «Von Fichte zu Schlegel», Innovationen des Idealismus, Göttingen, Vandenhoeck und ruprecht, 1995, p. 145).
Voir aussi R. BUBNER, «Gedanken über das Fragment. anaximander, Schlegel und die moderne», Merkur, 1993.
«Ce que l'on nomme habituellement raison n'est qu'un genre de celle-ci: savoir la maigre et l'aqueuse. il est en outre une épaisse raison de feu, qui est proprement le siège du Witz et confère au style pur son caractère élastique et électrique» (F. SCHLEGEL, Abschluß des Lessing-Aufsatzes [1801], CH, p. 158).
«Die Philosophie (muß) wie das epische Gedicht in der mitte anfangen» F. SCHLEGEL, Philosophisches Lehrjahre (1796), KA 18, p. 518
KA 12, 326.
Cette idée se trouve également CHEZ SCHLEIERMACHER: «Das anfangen aus der mitte ist unvermeidlich» (Vorlesungen über die Dialektik, Berlin, New York, De Gruyter, Kritische Gesamtausgabe, 2002, II, 10, 1, p. 186). on doit «aus-der-mitte-anfangen» (ibid., t. 2, p. 642).
AL, p. 212.
Ferdinand de Saussure définit la langue comme un «ensemble parasémique». Par là il signifie que ce qui constitue le système de la langue n'est pas seulement les référents sémantiques, mais aussi ce qui se trouve à côté (para) des unités sémantiques stricto sensu. Ce qui contribue ainsi à définir l'unité sémantique «langue», c'est non seulement le référent sémantique, mais aussi le voisinage de termes comme «parole» ou «langage», qui font «partie du même système psychologique de signes» (F. DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale. R. Engler éd., Harrassowitz, Wiesbaden, 1974, vol. 2, p. 37, no 3313.2).
Voir SCHLEGEL, Lucinde (1799), KA 5, p. 12-13.
Dilthey montre bien le manque qui caractérise Schlegel par rapport à Schleiermacher. «aus einer unendlichen Beweglichkeit und Leichtigkeit der Kombination erwuchs ihm ein merkwürdiger Blick für die metalladern, die unter der Decke der handwerksmäßigen wissenschaftlichen Produktion sich durchziehen. aber diese naturgabe und literarische Stellung war verhängnisvoll; sie schloß zugleich jene konsequente Vertiefung aus, die allein fähig ist, das entdeckte metall auszubeuten.» W. DILTHEY, «Das hermeneutische System Schmeiermachers in der auseinandersetzung mit der älteren protestantischen Hermeneutik» (1860), Gesammelte Schriften, Vandenhoeck & ruprecht, Göttingen, 1966, vol. 14, 1, p. 670.
Hegel s'en gausse dans une lettre à Von raumer (2 août 1816): «mais j'ai encore assisté à l'entrée en scène de Fr. Schlegel, avec ses cours sur la philosophie transcendantale. il avait terminé son cours en six semaines - non pas à la satisfaction de ses auditeurs qui s'étaient attendus à un cours de six mois et avaient payé en conséquence» (G. W. F. HEGEL, Correspondance [trad. Carrère], Paris, Gallimard, 1963, vol. 2, p. 91).
D. THOUARD, Critique et herméneutique, op. cit., p. 233.
D. THOUARD, Le partage des idées, Paris, CnrS Éditions, 2007, p. 156.
F. D. E. SCHLEIERMACHER, Pensées de circonstance sur les universités de conception allemande [1808], in L. Ferry, j.-P. Pesron et a. renaut éd., Philosophies de l'Université, Paris, Payot, 1979, p. 283.
Nous nous dégageons du procédé de tous ceux qui, en établissant un ensemble de propositions qui doit contenir l'essentiel du savoir de sorte que l'on puisse en dérouler la suite, qu'on l'appelle Doctrine de la science, Logique, métaphysique, Philosophie de la nature ou encore autrement, placent alors au sommet ce qu'ils appellent un «principe» avec lequel le savoir doit nécessairement commencer et qui doit lui-même être accepté purement et simplement, sans avoir été contenu dans ce qui a été pensé auparavant, ni pouvoir en être déduit. tous ils se trouvent dans le même cas: ils isolent totalement du reste ce qui provient de ce point à titre de pensée pure. (F.D.E. SCHLEIERMACHER, «Introduction à la dialectique (1833)», in Dialectique [trad. Berner et thouard], Paris, Cerf, 1997, p. 287).
C. BERNER, «Glossaire», in SCHLEIERMACHER, Sur l'idée leibnizienne d'une caractéristique universelle. Des Différentes manières de traduire, Paris, Seuil, 1999, p. 117.
F. D. E. SCHLEIERMACHER, Hermeneutik und Kritik, Frankfurt am main, Suhrkamp, 1977, p. 77.
F. D. E. SCHLEIERMACHER, Herméneutique [trad. Berner], Paris-Lille, Le Cerf-PUL, 1989, p. 79.
F. W. J. SCHELLING, Introduction à la philosophie de la mythologie [trad. Courtine, marquet et al.], Paris, Gallimard, 1998, p. 82-105.
Il y a dans la langue commune «noch eine heilige und geheime Sprache, die der Ungeweihte nicht deuten noch nachahmen kann, weil nur im inneren der Gesinnung der Schlüssel liegt zu ihren Charakteren; ein kurzer Gang nur aus dem Spiele der Gedanken, ein paar accorde nur aus seiner rede werden ihn verraten» (SCHLEIERMACHER, Monologen [1800], Kritische Gesamtausgabe, 1, 3, p. 97).
«Sprache ist Darstellung; und das erste objekt der Darstellung ist die sinnliche natur, wo die Sphären der einzelnen Zeichen durch die Konformität des sinnlichen Eindrucks ganz bestimmt gegeben sind. Über diesem ersten Stamme bildet sich eine zweite Sprache, deren Gebiet von der Selbsttätigkeit des Geistes selbst geschaffen und durch ihn vermehrt wird. Es gehört dahin die Bezeichnung des Unsinnlichen, von welcherlei art es auch sei. Es ist klar, dass die einzelnen Zeichen des leßtern durchaus keine Bestimmten Grenzen haben, allein allerdings bestimmbare» (A. F. BERNHARDI, «Verstand und Erfahrung. Eine metakritik zur Kritik der reinen Vernunft von J. G. Herder», Athenaeum: eine Zeitschrift, 1800, vol. 3, p. 270).
«aucun peuple n'a le droit, pas plus aujourd'hui qu'alors, de s'enfermer dans sa langue; au contraire, tous les peuples doivent, en proportion de leurs moyens, former une communauté avec tous les autres. mais cela ne doit jamais être le résultat de la disparition progressive des langues dans une seule langue qui serait, dans cette lutte entièrement victorieuse. Car si l'isolement doit bien être rompu, les particularités doivent néanmoins être conservées. » (F.D.E. SCHLEIERMACHER, Sur l'idée leibnizienne encore inaccomplie d'une langue philosophique universelle [trad. Berner], Paris, Seuil, 1999, p. 105).
F. D. E. SCHLEIERMACHER, Dialektik. Im auftrage der Preussischen akademie der Wissenschaften auf Grund bisher unveröffentlichen materials. R. Odebrecht éd., Leipzig, Hinrichs, 1942, p. 260.
«je ne puis immédiatement m'approprier du jugement d'un autre que la reproduction de son affection; tout le reste, je ne l'ai que dans la mesure où je le produis. C'est ce qu'il y a de vrai dans l'affirmation selon laquelle on ne sait que ce dont on a fait l'expérience» (SCHLEIERMACHER, Dialectique, op. cit., p. 175, § 191).
Comme le note Christian Berner, «L'entreprise herméneutique se définit comme volonté de "comprendre un discours" et se donne ainsi un objet spécifique. Cela est bien entendu fort restrictif, puisque nous cherchons à comprendre bien d'autres choses que des discours: des actions, des personnes, des gestes, des mimiques, des images, des œuvres d'art, autant de choses que Schleiermacher exclut de son herméneutique. La volonté de comprendre qu'il thématise est restreinte au domaine de compréhension du "discours étranger"» («Aimer comprendre. recherche sur les fondements éthiques de l'herméneutique de Schleiermacher», Revue de Métaphysique et de morale, 2001, p. 49).
Sur l'herméneutique de Schlegel, on consultera avant tout J. ZOVKO, Verstehen und Nichtverstehen bei Friedrich Schlegel. Zur Entstehung und Bedeutung seiner hermeneutischen Kritik, Stuttgart, Fromann Holzboog, 1990.
«Polemische totalität» (F. SCHLEGEL, Philosophische Lehrjahre, KA 18, p. 517).
J. G. FICHTE, 1801, Sonnenklarer Bericht, GA, I, 7, 1988, p. 197-198.
«Die meisten Gedanken sind nur Profile von Gedanken. Diese muss man umkehren und mit ihren antipoden synthesieren» (SCHLEGEL, Fragmente, KA 2, p. 171 [39]).
F. SCHLEGEL, Vorlesungen über Transzendentalphilosophie, KA 12, p. 92.
D. THOUARD, «Postface», in A. Laks, A. Neschke éd., La naissance du paradigme herméneutique, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 20082.
P. LORENZEN, K. LORENZ, Dialogische Logik, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1978.