Analyse de l’effet de la température et du préférendum thermique sur les mécanismes du déterminisme sexuel et de la différenciation gonadique chez le poisson-chat Africain, Clarias gariepinus

Les poissons constituent le groupe de vertébré le plus diversifié présentant des systèmes de déterminisme et de différenciation sexuels aussi divers que variés. Ces systèmes sont caractérisés par une grande labilité et sont influencés par des facteurs génétiques, physiologiques et environnementaux, ces derniers pouvant influencer à la fois, le déterminisme du sexe et la différenciation des gonades. Le poisson chat africain Clarias gariepinus, une espèce présentant un déterminisme sexuel à homogamétie femelle (XX/XY), n’a fait l’objet que de peu d’études sur le rôle des facteurs environnementaux sur la détermination et différenciation sexuelle. Nous avons choisi d’étudier le rôle de la température dans ces mécanismes par trois approches complémentaires.

Une approche histologique nous a permis de mettre en évidence qu’une haute température (36°C) influence la différenciation gonadique très précocement, de 6 à 8 jours post-l’éclosion (jpe), en entrainant fréquemment une déviation significative du sexe-ratio vers les mâles. La précocité de la thermosensibilité, avant le premier signe de différenciation histologique des gonades, suggère que la haute température pourrait agir sur d’autres cibles que les gonades elles-mêmes, telles que les cellules germinales primordiales, ou le cerveau, pour induire une masculinisation de la progéniture. Nous avons de plus mis en évidence que la distribution du sexe-ratio dans les différentes populations était très variable, suggérant le rôle de déterminants génétiques mineurs dans le processus de déterminisme du sexe chez le poisson-chat africain. Globalement, nous ces résultats sont caractéristiques de la présence d’une inversion du sexe température-induite (TISR) ainsi que des traits d’un déterminisme génétique polyfactoriel du sexe chez le poisson-chat africain.
Une approche physiologique et génétique nous a permis de mettre en évidence que globalement, la haute température n’influence ni les profils des concentrations des trois principaux stéroïdes sexuels (17β-œstradiol, 11-cétotestostérone et testostérone), ni les expressions des gènes cyp19a1b et dmrt1 généralement impliqués dans ces mécanismes. Toutefois, les progénitures très thermosensibles présentent des expressions plus faibles du gène cyp19a1b six jours après l’exposition à la haute température. De même, les plus fortes expressions du gène de dmrt1 ont été observées chez les individus contrôles. Ces résultats renforcent notre hypothèse de sexualisation précoce du cerveau dans le processus de masculinisation température-induite. Des études supplémentaires sur l’action de la haute température sur la prolifération de cellules germinales primordiales, ainsi que d’autres processus comme l’activité ou la méthylation des gènes de la différenciation sexuelle doivent être envisagées.
Une approche comportementale nous a finalement permis de mettre en évidence que les juvéniles indifférenciés présentent un comportement migratoire vers les hautes températures lorsqu’ils sont placés dans un continuum thermique (28,0 – 32,0 – 36,0°C), associés à une masculinisation de 50,0 à 82,5%, soulevant la question suivante : le déplacement à hautes températures confère-t-il des avantages particuliers aux individus ou à la population en milieu naturel ? Cette thermosensibilité contribuerait à augmenter la proportion de femelles dans la population, lorsque les pseudomales (XX) vont se reproduire avec des femelles XX. L’augmentation de la capacité reproductive de la population, résultante, pourrait permettre un accroissement de l’effectifs des larves et juvéniles, pour rétablir l’équilibre du sexe-ratio lors du retour à des conditions environnementales normales.

Globalement nous pouvons conclure que Clarias gariepinus présente un TISR avec une implication des déterminants génétiques mineurs dans la différenciation du sexe. La thermolabilité pourrait conférer un avantage adaptatif à l’espèce, mais l’adaptabilité d’un tel processus d’établissement du sexe reste une question très ouverte.