Abstract :
[fr] Face aux querelles linguistiques entre Francophones et Néerlandophones qui paralysent le pays, la communauté germanophone de Belgique tente de trouver sa place dans un état multilingue. Pays de marche fondé lors de la Révolution de 1830, la Belgique a eu du mal à définir ses limites. Si la frontière méridionale avec la France n'est jamais vraiment remise en cause, celles du Nord et de l'Est sont davantage problématiques. La limite septentrionale fut fixée en 1839, lors du traité des XXIV articles de Londres, même si elle a eu du mal à renoncer aux bouches du Rhin ou au Limbourg. La frontière de l'Est reste épineuse. Le Grand Duché de Luxembourg demeure jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale une revendication vive du Royaume. Celles de l'Allemagne sont également très critiquées. Pendant tout le XIXe siècle elle fut dans une large mesure largement fantasmée.
Elle fut d'abord le cadre d'une expérience politique inédite, le Territoire neutre de Moresnet. Né d'un contentieux du traité de Vienne (1815), ce village et son gisement de cuivre furent coadministrés par le Royaume des Pays-Bas (puis la Belgique à partir de 1830) et la Prusse (devenue Allemagne en 1870). Pendant un siècle, ce territoire neutre réinvente totalement la notion de frontière. En effet, ici il s'agit non pas d'une ligne, mais d'une surface. Entité sans loi bien définie, elle devient un lieu totalement imaginé. Elle fut alors le havre supposé de toutes les canailles de l'Occident (« Far West » européen). Un des premiers casinos à voulu s'y installer. On a même voulu faire de Moresnet le premier territoire espérantiste du monde afin de dépasser les questions linguistiques. Les représentations de la frontière belgo-germanique sont polyformes tout au long du XIXe siècle. On la définit comme une zone de transition avec ses nombreux contrebandiers, une zone interlope (entre deux états, voire entre deux mondes comme en témoigne la présence de vampires), mais aussi une zone de fermeture avec l'avénement de l'Etat-nation et du nationalisme.
A partir de 1914, elle devient un enjeu de géopolitique européenne. Il s'agit de la première frontière violée par l'Allemagne en août. Dès la fin du conflit, la Belgique souhaite annexer les districts de Moresnet, d'Eupen et de Malmedy avançant l'argument historique (ils faisaient partie des Pays-Bas espagnols) ou linguistique (Malmedy est largement francophone). A Versailles, la Belgique essaie de se faire entendre en s'appuyant avant tout sur le concours de Georges Clémenceau. Même si la délégation allemande tente de repousser cette annexion, le traité final attribue tous ces districts à la Belgique. Pour la première fois de son histoire le territoire de la Belgique s'étend. Un plébiscite est tout de même organisé en 1920, mais à main levée. L'écrasante majorité des électeurs se prononce pour un rattachement au royaume. Ils deviennent citoyens belges en 1925. Toutefois, la réorientation de cette périphérie vers Bruxelles n'est pas sans poser des problèmes techniques. Pendant les années 20 et 30, cet espace frontalier favorise l'irredentisme allemand, à tel point qu'on le nomme parfois « l'Alsace-Lorraine » belge. Ils sont même intégrés au Reich en 1940.
A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ils font définitivement leur retour au territoire belge. L'état fait tout pour intégrer pleinement ces marges et cette communauté pleinement au sein de la société. Dans le cadre des querelles linguistiques et de la question du fédéralisme qui déchirent le royaume, les Germanophones restent discrets. Néanmoins, dans le cadre des lois linguistiques de 1963, une région de langue allemande est créée et reconnue : la Belgique reconnaît trois communautés linguistiques. Pourtant, part entière de la province de Liège, elle s'individualise au sein de la communauté culturelle germanophone de Belgique à partir des années 70 et 80, avec ses propres compétences, son gouvernement, son parlement, ses medias, sa police etc. Souvent loin du centre Bruxellois et de ses problèmes, elle semble davantage se tourner vers l'acteur européen, notamment par l'intermédiaire de l'eurorégion Rhin-Meuse.
Ainsi, cette géohistoire de la frontière de l'Est et de la communauté germanophone de Belgique permet une réflexion intéressante sur les limites politiques mais aussi linguistiques à la fois à l'extérieur comme à l'intérieur du pays. Périphérie de la Belgique, elle n'en demeure pas moins un arbitre qui veut jouer pleinement son rôle au sein du Royaume et de l'Europe de demain.