Abstract :
[fr] Dans les processus d’élaboration, de mise en oeuvre et d’évaluation des politiques publiques, l’identification de la connaissance pertinente servant de socle à l’action publique n’est jamais un exercice anodin et automatique s’imposant à tous comme une évidence. Il s’agit de rassembler des informations permettant de structurer un espace décisionnel le plus souvent chargé d’incertitude.
Car il faut rappeler cette évidence : sans incertitude, l’expert est inutile. Si le décideur politique pouvait imaginer de façon autonome tous les scénarios envisageables, prévoir avec précision l’impact et les conséquences de ses choix, le recours à l’expertise ne se justifierait pas. L’expertise prend des formes multiples, pas seulement scientifique. La forme d’expertise la plus couramment rencontrée est celle qui découle d’une longue familiarité avec le domaine et le type de question en jeu. Dans ce sens traditionnel, il y a par exemple des experts de la chasse, de la sécurité routière et des rapports conjugaux. Ces personnes ont accumulé une longue expérience pratique qui leur permet de savoir ce que le commun des mortels ne sait pas, ce qui est possible et ce qui ne l’est pas1. On retrouve ici un concept traditionnel de l’expertise, qui est le produit d’un réseau stable de production d’expériences et d’évidences permettant d’éclairer la décision.
Mais dans la société actuelle, quand il s’agit de mobiliser de la connaissance dans un processus décisionnel, on ouvre grandes les portes à d’innombrables controverses. Au lieu d’être confronté à une connaissance stabilisée, objective, neutre, universelle et s’exprimant d’une seule voix, le décideur se retrouve face à une explosion d’expertises aux ancrages bien souvent hétérogènes. D’une part, la science a acquis un statut particulier en matière d’expertise, parce que la connaissance scientifique peut revendiquer un statut de prééminence qui légitime toute forme de savoir et tend à discréditer les informations provenant d’experts qui ne pourraient pas se targuer d’une certification scientifique. D’autre part, les questions dérivées des innovations techniques excluent par leur caractère innovant la possibilité de construction de savoirs par la seule familiarité : comme on le lira ci-dessous dans le domaine de la bioéthique, le décideur ne peut fonder son choix que sur des savoirs partiels et incertains.
Serait-ce pour autant plus confortable, d’un point de vue politique, d’être confronté à une connaissance monolithique et univoque ? La réponse à cette question ne relève certainement pas de l’évidence. Si quelquefois, une connaissance certaine et homogène permet aux décideurs de légitimer leurs actions, elle implique également une certaine perte de pouvoir quant à l’identification des options et la nature des décisions à prendre.
L’axe expertise-politique doit être évalué en tenant compte de l’environnement de la politique publique considérée et de son degré de maturité, en se référant à des modèles d’interactions adaptés.