Abstract :
[fr] Les études contemporaines autour des cultures alimentaires, menées au départ de différentes perspectives disciplinaires, mettent en évidence le dynamisme interne et interrelationnel qui caractérise les gastronomies, plutôt qu’une « pureté » et un « immobilisme » originels (La Cecla, 1998). Cependant, lorsque l’analyse est portée sur le rapport entre alimentation et migration, une essentialisation des pratiques est souvent produite, plaçant ces dernières dans l’un ou l’autre de deux pôles opposés : le modèle alimentaire associé au pays d’origine et celui majoritairement diffusé dans le pays d’accueil. Une évaluation de ces habitudes ainsi que d’une éventuelle résistance au changement, permettrait d’établir la disposition des migrants à « s’intégrer » à la société locale (Bastenier et Dassetto, 1993 ; De Lesdain, 2002 ; Scardella et al., 2003).
Dans ce contexte discursif, où l’inclusion des individus dans certains groupes (la communauté majoritaire, la collectivité « saine » etc.) se fait par l’adhésion aux normes locales, les familles issues de la migration performent leur quotidien alimentaire. Bricoler avec ces normes surdéterminées leur permet d’exprimer une créativité qui se met en œuvre à plusieurs niveaux : celui de l’approvisionnement, celui de la préparation des repas, celui de la transmission des savoir-faire entre les générations.
Ces dynamiques seront explorées au travers de l’analyse des données collectées lors d’un travail de terrain mené pendant dix-huit mois au milieu d’un groupe de femmes marocaines résidant dans la province de Milan en Italie. Observations et entretiens ont été conduits à la fois dans les maisons et dans les espaces publics. Ils portaient sur les (micro-)pratiques alimentaires entendues comme facteurs centraux dans la définition du Soi, suivant une approche praxéologique à la subjectivation (Warnier, 2001). Grâce à cette analyse, il sera possible de constater qu’un modèle alimentaire composite se redéfinit au niveau familial, bien qu’il ne soit pas exempté de l’effet de dynamiques culturelles, sociales, économiques et politiques plus amples et apparemment structurantes. On assiste en fait à une diversification et innovation des pratiques. D’un côté, avec leurs déplacements pour faire leurs achats, femmes et hommes dessinent des chorégraphies complexes à l’intérieur de la ville, et ils engagent aussi une circulation transnationale de biens alimentaires. D’un autre côté, mères et filles puisent de savoirs et savoir-faire différents et s’appuient sur une pluralité d’outils (mémoire incorporée, bouche à oreille, livres de recettes, internet) pour faire face à leurs exigences alimentaires. Ainsi, les familles continuent d’effectuer un choix actif en matière d’alimentation.