Abstract :
[fr] L’émergence et l’épanouissement des pratiques d’exposition au XVIIIe et au XIXe siècles se sont accompagnés de la normalisation progressive des conditions d’observation des tableaux telles que la disposition des œuvres et la distance maintenue par les spectateurs. Comme les peintres et les visiteurs du Salon, les critiques d’art doivent s’approcher de leur objet pour le connaître, mais, paradoxalement, ils ne peuvent prétendre à l’objectivité qu’à condition de « prendre du recul », suivant l’expression consacrée. Trouver la bonne distance pour observer son objet, pour en saisir à la fois l’ensemble et les détails, est un des enjeux qui préoccupaient également, au XIXe siècle, les artistes, les critiques et les savants.
Parmi les différentes formes que prend dans la critique d’art la réflexion sur la distance, il en est une qui trahit de façon récurrente les présupposés de l’époque sur la proximité avec l’œuvre : il s’agit de la référence à l’odeur du tableau. Sens de la proximité, l’odorat métaphorise à merveille les plaisirs ou les malaises occasionnés par la contiguïté du spectateur avec un tableau, avec la matière picturale dont il est composé, voire avec le sujet qu’il représente. Dans la mesure où la perception d’une odeur est toujours le signe de la présence de la matière dont elle émane, la mention de l’odeur offre aux critiques d’art un instrument singulier pour appréhender la problématique de la proximité et saisir les enjeux esthétiques et sociaux de la peinture de leur temps.
[en] Since the emergence of exhibition practices in the eighteenth and nineteenth centuries, there has been a progressive normalization of the material
conditions for observing paintings, such as their placement and the spectator’s distance to them. Just like painters and Salon visitors, art
critics needed to move closer to their object of inquiry in order to gain better knowledge of it, but paradoxically, they could not claim objectivity
without stepping back. The ideal distance that would allow viewers to simultaneously grasp the whole and the details was a contentious topic of
discussion for nineteenth-century artists, critics, and scientists. Among the different ways in which this question was formulated in art criticism,
one in particular reveals the presuppositions of the time about proximity: the constant reference to the smell of the painting. Associated with
proximity, smell metaphorizes the pleasure or trouble spectators feel when they get close to paintings, to their pictorial materiality, or even to
the figures depicted. Because smell always functions as a sign of the substance from which it emanates, art critics’ reference to it allowed them
to consider the problem of proximity within the social and aesthetic issues of their time.