Abstract :
[fr] « Folded time » : le temps en héritage dans l’œuvre de Gail Jones
The photograph of someone one loves, as a child: folded time.
The present is given adorable density; in the face of the beloved rests an earlier face.
(Gail Jones, Dreams of Speaking, p. 37)
Le temps pour Gail Jones n’est ni chronologique, ni linéaire, ni cyclique : telles des couches mémorielles se superposant les unes par rapport aux autres sans pour autant s’additionner, le temps, selon Jones, est « folded » (plissé, replié) et le moment présent n’est que le résultat d’un long processus de soustractions.
Romancière, nouvelliste et essayiste australienne, Gail Jones est aussi une contemporaine de la fameuse « réconciliation australienne ». Du fait de son identité « blanche » et ses origines « européennes », Jones s’inscrit ainsi dans une lignée d’écrivains confrontés aux dangers liés à la victimisation symptomatique des cultures colonisatrices à l’époque postcoloniale. Afin d’aborder la question de la légitimité de l’héritage culturel, linguistique, littéraire et historique dans les récits traumatiques, sans pour autant assimiler le rôle réparateur des témoignages des victimes au rôle rédempteur des récits traumatiques des exterminateurs, Jones joue avec la notion de temporalité.
C’est en effet au travers de son œuvre romanesque que Jones montre comment l’émergence d’événements du passé met en lumière un pan de l’histoire de l’Australie qui, jusqu’ici, fut passé sous silence. De même, dans une interview, Jones a exprimé son envie d’écrire sur l’amnésie historique, sur ce que c’est que d’oublier, d’avoir une histoire lacunaire (voir Block 2). Son but, je pense, n’est pas tant de combler le vide au centre de l’Histoire de l’Australie que d’écrire sur ce phénomène typiquement (post)colonial.
Mon exposé s’attachera donc à montrer par quels moyens techniques et littéraires Jones tente de faire résonner les dangers récurrents liés à l’écriture et à la transmission orale de l’indicible dans la littérature contemporaine de l’Australie colonisatrice. Jones, je soutiens, fait preuve de grande subtilité à l’égard des sujets souvent très délicats que sont l’indigénéité, la marginalité, le racisme, le trauma, la victimisation et la violence, pour n’en citer que quelques uns, en ayant recours à des techniques d’écriture originales et contre-discursives, dont l’allégorie et l’intertextualité. Par ailleurs, son approche de la temporalité, tant au niveau de la forme (fragments, flashbacks, points de vue) que du contenu (troubles de la mémoire, héritage) et sa conception soustractive de l’histoire contribuent au caractère unique de sa vision du monde et de son écriture.