Abstract :
[fr] En période de crise économique, les besoins de l’État augmentent et l’assiette fiscale se réduit.
Il est alors courant de voir resurgir dans le débat public la lutte contre les diverses formes de
fraude qui réduisent les recettes publiques. Dans ce contexte, on oppose régulièrement fraude
fiscale à fraude sociale et la discussion porte souvent sur l’importance relative de l’une et de
l’autre. On entend par fraude fiscale le détournement illégal d’un système fiscal afin de ne pas
contribuer au financement des charges publiques, et par fraude sociale le fait d’échapper au
versement des prélèvements sociaux ou de bénéficier indûment de prestations sociales. Les
deux formes de fraude se recoupent parfois.
S’il est difficile de mesurer avec précision l’une et l’autre forme de fraude, on estime
généralement que la fraude fiscale représente un manque à gagner pour l’État beaucoup plus
important que la fraude sociale. Cependant, ces deux types de fraude émanent probablement de
populations aux caractéristiques différentes en termes d’activité et de ressources. Il est donc
intéressant d’essayer d’identifier les facteurs explicatifs de ces deux types de fraude,
c’est-à-dire d’étudier si ces derniers répondent à des ressorts économiques et des impératifs
moraux similaires ou non. Des populations ou des groupes sont souvent stigmatisés pour
pratiquer l’un ou l’autre type de fraude.
Cet article se propose d’expliquer les facteurs menant à ces deux types de fraude, à partir de
données obtenues d’une expérience en laboratoire. De par ses exigences de contrôle et son caractère artificiel, l’expérimentation de laboratoire peut contribuer à apporter des éléments
de réponse à cette question. En effet, par le choix de valeurs de paramètres appropriées, elle
permet de comparer directement les deux types de fraude du point de vue économique, de façon
à isoler des dimensions non-économiques de la prise de décision.
L’originalité de notre expérience est double. S’il existe maintenant un grand nombre
d’expériences sur la fraude fiscale, aucune n’a été consacrée spécifiquement à la fraude sociale
au sens de cumul d’un revenu de remplacement et d’un revenu dans un emploi au noir. Outre le
fait de comparer la fraude fiscale et la fraude sociale dans un cadre expérimental comparable,
nous avons mené cette recherche dans les deux principales régions de Belgique (Flandres et
Wallonie), aux Pays-Bas et en France, afin d’élargir le champ de comparaison. Si ces pays ont
des institutions différentes, la France et les Pays-Bas partagent avec l’une ou l’autre région de
Belgique la même langue et, de ce fait, une culture similaire. Ceci nous permet de comparer les
comportements face aux mêmes incitations économiques d’un pays à l’autre, ainsi qu’à
l’intérieur de la Belgique, tout en contrôlant l’effet du contexte institutionnel.
Dans l’expérience proposée, les participants doivent d’abord choisir entre un emploi offrant un
revenu aléatoire mais connu de l’autorité fiscale (correspondant de fait à un emploi salarié) et
un emploi offrant un revenu plus aléatoire mais non observable sans contrôle. Dans le
traitement de la fraude fiscale, le second choix correspond à un travail indépendant dont le
revenu n’est connu du fisc avec certitude que moyennant un contrôle. Dans le traitement de la
fraude sociale, il s’agit d’une activité non déclarée que l’individu mène tout en touchant des
allocations de chômage. Les valeurs des paramètres dans les deux traitements sont choisies de
sorte qu’un individu rationnel et neutre au risque devrait choisir l’emploi autorisant la fraude
et frauder s’il existe un très faible risque de contrôle. Les paramètres retenus sont tels que les
choix devraient être identiques dans les deux traitements.
Les résultats montrent que, dans le cadre du laboratoire, alors que les gains monétaires espérés
de la fraude sont identiques, la fraude sociale tend à être plus probable que la fraude fiscale.On
observe aussi que de nombreux individus optent pour l’emploi se prêtant à la fraude fiscale tout
en ne fraudant pas, ce qui confirme l’existence d’une aversion à la tricherie chez une partie de
la population. On retrouve un résultat classique dans ce type de travaux, à savoir que la
fréquence des contrôles conduit à l’honnêteté fiscale. Enfin, en ce qui concerne la comparaison
internationale, les différences entre les pays sont faibles. La fraude fiscale est plus fréquente
chez les participants français et néerlandais que chez les participants belges toutes choses
égales par ailleurs. Les participants flamands ne fraudent pas plus le fisc que les participants
wallons. Il n’y a pas de différences de recours à la fraude sociale d’un pays ou d’une région à
l’autre.
Publisher :
Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, Direction de la prévision, Paris, France
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