Abstract :
[fr] Pour mener une interrogation sur le ou les types d’usages possibles de la phénoménologie en sociologie dans le cadre restreint de cette contribution, il convient de renoncer à tout souci d’exhaustivité et de délimiter avec précision la portée de notre chapitre. Trois thématiques vont s'emboîter. Tout d’abord, nous reconnaîtrons, comme beaucoup d'autres avant nous, que l'apport principal de celui que l'on présente comme le père de la sociologie phénoménologique, A. Schütz, fut sans conteste son apport épistémologique. En effet, c'est toute une nouvelle posture scientifique que la phénoménologie au sens large va inspirer à la sociologie, comme nous l'évoquerons avec la sociologie pragmatique. Mais dans un second temps, cette posture devra être éprouvée quant à son fond. Le projet de Schütz est rien moins que d'appliquer le transcendantal husserlien à l'empirique. Cette tentative est-elle simplement sociologiquement recevable ? Et, si elle ne l'est pas, cela invalide-t-il définitivement la possibilité d'une sociologie phénoménologique ?
Nous montrerons que, en condamnant, à juste titre, la position transcendantale « pure » de Husserl, Schütz échoue cependant à penser la société grâce à la réduction
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phénoménologique, précisément parce qu'il conserve pour celle-ci une fin typiquement subjectiviste. Quoi qu'il en dise, il continuera de penser la société par le biais d'une égologie, quand bien même ancrée dans l'intersubjectivité. La question pourrait alors se présenter de la sorte : que reste-t-il de spécifiquement phénoménologique à une perspective qui se passe d'ego transcendantal ? La mobilisation d'autres concepts phénoménologiques peut-elle suffire à justifier la création d'une sociologie phénoménologique ? Y a-t-il une méthodologie phénoménologique qui puisse être utile à la sociologie et qui ne passe pas par un retour au sujet ? Pour tenter de répondre à ces questions c'est la notion de rapport intentionnel au monde de la méthode phénoménologique (une méthode qui ouvre à la fois un travail spécifique de description et de formalisation empiriques) qui doit être interrogé par la sociologie. Comme nous le verrons, cette perspective est davantage porteuse. Et à nouveau, on peut en relever les premières perspectives dans la sociologie pragmatique.
Autrement dit, l'apport épistémologique de la phénoménologie, généralement concédé à Schütz, n'épuise pas selon nous l'enjeu que constitue la phénoménologie pour la sociologie. Si la phénoménologie échoue à fonder le social en appliquant le transcendantal à l'empirique, comme voudrait le faire Schütz, elle conserve une force encore tout à fait inexploitée pour élaborer une méthode d'investigation sociologique. En investissant des concepts non investis par Schütz comme l'intentionnalité de Husserl et son équivalent dans la phénoménologie de Max Scheler (les états d'esprit) ― et sans omettre l'apport considérable de la redéfinition de la posture épistémologique du sociologue par Schütz ― c'est au renforcement théorique et méthodologique du paradigme pragmatique, actuellement en pleine effervescence et en plein développement, que nous voudrions contribuer. Ce n'est pas tous les jours, pour le dire avec Kuhn, que l'on peut avoir l'impression de vivre un moment où il est possible de sortir quelque peu de la science « ordinaire ».