"Saisir l'Etat" pour un conflit d'héritage au Bénin: la justice aux yeux des justiciables

« La justice, c'est la mafia ». Au Bénin, nombreux sont les sceptiques vis-à-vis des institutions judiciaires. L'imaginaire et les représentations communes du monde juridique dépeignent les notaires comme falsifiant les testaments et bradant les biens des héritiers, les avocats comme susceptibles de faire traîner un dossier à leur avantage. Les magistrats y sont décrits comme corrompus et les greffiers comme trop mal payés pour résister aux mêmes « tentations ». Et pourtant, les tribunaux du Bénin sont constamment surchargés. Uniquement en matière civile et traditionnelle, 7530 dossiers furent introduits dans les différents tribunaux de première instance du Bénin en 2005, 10 374 en 2009 et 11 367 en 2010. Autrement dit, les Béninois recourent en masse à cette justice tant décriée.
Dans le cadre de cet article, j'ai choisi de me pencher sur un type de litiges bien particulier : celui des conflits successoraux. Ancrés dans les dynamiques familiales, au cœur de la sphère privée, ils sont pourtant massivement portés devant les tribunaux. Une situation d'autant plus paradoxale qu'il est de notoriété publique que « le pauvre n'a jamais raison ». Pour mieux comprendre ce paradoxe, je me pencherai sur le parcours de ces familles qui décident de « saisir l'Etat » pour régler leur succession.
Il s'agira donc tout d'abord de s'intéresser à « l'avant recours au droit » et aux négociations familiales. Ensuite, aux raisons qui expliquent l'échec de ces dernières et qui poussent les familles à porter leur différent devant les tribunaux. Je m'intéresserai alors au parcours des justiciables et à leur expérience des services publics béninois, m'interrogeant notamment sur l'accès et le coût de la justice pour les parties. Je me pencherai sur le « résultat » et la « satisfaction » des usagers face à ce service public certes décrié, mais aussi constamment mobilisé. Enfin, c'est le discours des Béninois sur l'Etat et la Justice qui retiendra mon attention.
En d'autres termes, je tenterai ici d'analyser la « conscience du droit » des familles béninoises, qu'il s'agisse des normes familiales ou du droit étatique, appliquées dans la sphère privée ou dans les tribunaux.