Abstract :
[fr] En 140/39 av. J.-C., une mission romaine composée, entre autres, de Scipion Emilien et du philosophe Panétios visita les alliés orientaux de Rome et se rendit notamment à Alexandrie. Le roi Ptolémée VIII y accueillit officiellement ces hôtes prestigieux, vêtu d’un habit étrange : un chiton long et subtil, dont les auteurs anciens réfèrent unanimement l’effet efféminé et caricatural, au point de susciter le rire des Romains et une condamnation du luxe effréné et décadent du royaume égyptien par comparaison avec la sobriété romaine. Il a fallu attendre une étude de H. Heinen en 1983 pour reconnaître, d’une part, l’envergure idéologique du lien entre la tenue de Ptolémée VIII – en fait empruntée à l’iconographie hellénistique de Dionysos – et la mise en scène officielle de la tryphè et du pouvoir royal et, de l’autre, le sens politique de la représentation caricaturale qu’en donna probablement déjà Panétios, représentation qui fut relayée et amplifiée par toute une tradition historiographique philo-romaine, qui se développa tout au long de la conquête romaine de la Méditerranée et ensuite à l’occasion du conflit entre Octavien et Antoine. Cette tradition nous a transmis, par le biais des auteurs de l’époque impériale, un discours fondé sur l’opposition entre Rome (et l’Italie), vertueuse source de citoyens et de soldats, et l’Orient dégénéré. Dans un tel cadre, Dionysos et le dionysisme sont sollicités pour servir à la construction d’un modèle accusatoire contre les ennemis de Rome, incarnant le désordre dans une dimension à la foi individuelle et institutionnelle. Mais est-ce que cette vision idéologique nous donne un portrait satisfaisant des rapports réels entre Rome et Dionysos / Bacchos / Liber Pater ?
En partant de cette question, je propose dans ma contribution une approche visant à analyser, à l’aide de sources aussi littéraires que documentaires, les contextes de contact entre Rome et Dionysos de l’époque hellénistique au début du Principat, pour essayer de mettre en relief les relations entre, d’une part, la répulsion et le refus idéologiques du dionysisme, de l’autre les démarches d’appropriation et d’adaptation, à la culture romaine, de traits caractérisant les cultes hellénistiques de Dionysos et leurs utilisation dans la mise en forme des pratiques du pouvoir et de leurs représentations.