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Abstract :
[fr] Dès les premières traductions françaises des traités de Johann Kaspar Lavater à la fin du XVIIIe siècle, la physiognomonie a pris une place prépondérante dans l’iconographie et la pensée de l’époque. Très tôt renforcée par la diffusion des traités de phrénologie de Franz Josef Gall, cette théorie paramédicale a suscité une émulation telle qu’elle a contribué à poser les bases de la morphopsychologie, qu’elle a participé au développement de l’anthropométrie et s’est ramifiée en d’innombrables branches parmi lesquelles figurent la physiognomonie zoologique, la physiognomonie ethnologique ou encore la « pathognomonie ». En outre, reposant sur la conviction qu’il est possible d’atteindre les profondeurs de l’intériorité humaine par l’observation d’éléments conçus comme autant de signes à déchiffrer, cette théorie relève du raisonnement par induction qui a pris, dans la fiction littéraire, la forme spécifique d’une recherche d’indices et a participé, dans les disciplines médicales, à la méthode diagnostique.
Le postulat selon lequel une connaissance de l’être humain est possible par l’observation minutieuse de ses traits extérieurs – conviction renforcée, à la moitié du siècle, par les possibilités techniques de la photographie – a contribué à enrichir la description, à affiner l’art du portrait et à aiguiser le trait incisif de la caricature. Ayant offert de riches moyens cognitifs et esthétiques d’exploration du monde social au peintre, à l’illustrateur, à l’homme de lettres et à l’historien, ces théories paramédicales ont durablement marqué l’histoire des conceptions et des représentations sociales.
Envisager l’influence de la physiognomonie en termes de diffusion d’un paradigme scientifique permettra de saisir les modalités et de mesurer les enjeux non seulement de la transposition de ce paradigme d’un médium à un autre, mais aussi de sa circulation entre différentes aires géographiques, disciplinaires ou sociales. L’étude des vecteurs suivant lesquels la physiognomonie investit les représentations fera intervenir des corpus variés, issus de contextes culturels allant de la France romantique à la blogosphère actuelle en passant par l’Allemagne nazie de l’entre-deux-guerres. À l’observation attentive des sources primaires (documents historiques, traités médicaux, gravures d’époque, œuvres picturales, textes littéraires), s’ajoutera une réflexion sur la postérité de ces développements théoriques par l’analyse des discours distanciés, dubitatifs, voire explicitement critiques à leur égard, et ce dès leur toute première diffusion.
Ce dossier propose une réflexion susceptible d’apporter des éléments de réponse à la double question suivante : de quelle postérité épistémique le modèle d’interprétation et de représentation hérité de la physiognomonie bénéficie-t-il, entre dépréciation et application effective, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle ? Comment cette influence s’est-elle répandue ?