Abstract :
[fr] Lors d’une réflexion sur les politiques modernes de sécurité alimentaire, trois modèles principaux d’évaluation de politiques publiques sont en compétition : les modèles de risque technocratique, décisionniste et « transparent » (Millstone 2004). Chacun de ces modèles amène de nouveaux acteurs dans le processus décisionnel : dans le modèle technocratique, les scientifiques sont la seule source d’information pour les décideurs politiques. Les acteurs socio-politiques et économiques sont invités à la table de discussion dans le modèle décisionniste, quoiqu'une moindre importance soit donnée à leur avis. Enfin, le modèle transparent plaide pour que le poids des avis de chacun de ces acteurs soit égal. Ce dernier modèle a inspiré celui de la gouvernance des risques de Renn (Dreyer and Renn, 2009), qui complète le modèle transparent en plaçant une nouvelle emphase sur l'évaluation et la communication du risque.
Cette communication est un concept central dans l’évaluation des politiques publiques (Muller, 2005), qui considère la politique comme le résultat d’interactions entre un nombre important d’acteurs, chacun apportant ses propres vues du monde et approches de l’action. Le but de ces politiques est de définir des modes d’action et de représentation de la réalité qui guideront les choix et actions mises en place pour résoudre des problèmes communs et connus. Muller (2005) appelle cette construction sociale « référentiel sectoriel d’action publique ». Le référentiel résulte d’une co-construction d’outils de politique publique, qui ont le potentiel de gagner le support de chaque autre acteur. Ce référentiel, une fois appliqué à la gouvernance des risques, pose les fondations pour un référentiel de la sécurité (Brunet, 2007), résultat des structures et activités de communications, elles-mêmes le canal des valeurs, normes, images et des logiques qui contribuent à la structuration de la perception individuelle et sociale du risque.
Au sein du modèle de Renn, la communication devient l’élément central de chaque étape du processus d’analyse des risques. Ce processus offre un apprentissage mutuel et itératif, marquant la différence avec la simple information, unilatérale par nature, et la communication, qui permet des boucles d'enrichissement, ouvrant la possibilité aux parties prenantes (scientifiques, décideurs politiques, acteurs socio-économiques) de créer un référentiel partagé par tous les acteurs du processus.
Comme illustration du fonctionnement du modèle de gouvernance des risques, nous allons analyser le cas du bisphénol A, qui fut, en 2010, le berceau d'une controverse. Cette dernière a abouti à l’adoption de la directive 2011/8/UE par la Commission Européenne (CE), restreignant l'utilisation du bisphénol A dans les biberons en plastique pour nourrissons, décision allant à l'encontre de l'avis scientifique de l'Agence Européenne pour la Sécurité Alimentaire (EFSA), qui avait établit qu'il n'y avait pas de danger pour la santé tant que la dose journalière admissible n'était pas dépassée. La controverse qui a émergé en 2010 était majoritairement une controverse publique – même si elle avait ses racines dans une controverse scientifique antérieure –, relayée par une large couverture médiatique, où les arguments émotionnels étaient plus mis en avant que les arguments scientifiques.
Ces désaccords ont mis en évidence des divergences croissantes entre les opinions scientifiques et l'opinion publique : en adoptant cette directive, la CE a estimé que l'opinion publique ne pouvait plus être ignorée. Était-il possible pour la CE d'ignorer les réclamations des profanes ? Aurait-elle dû faire plus confiance aux experts de l’EFSA en outrepassant ces appels ?