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Abstract :
[fr] Le recours au principe de précaution (Ewald 1996) en tant que mode de gestion publique des choix technologiques (Roany 2004), s’inscrit dans un contexte décisionnel en évolution, marqué par une incertitude multidimensionnelle quant aux conséquences environnementales, économiques, sociales, politiques ou encore éthiques des innovations technologiques (Kooiman 1993 ; Callon, Lascoumes, Barthe 2001, Grossman 2006). L’utilisation de ce principe fonde une demande croissante d’ouverture du processus décisionnel qui se traduit par une offre participative accrue, offre en laquelle certains voient la promesse ou le moyen de concrétiser la société de « gouvernance » (Barber 1984 ; Fishkin 1995 ; Beierle, Cayford 2002 ; Willis, Dekay, Morgan, Florig, Fischbeck 2004 ; Sjöberg 2004 ; Larceneux 2005 ; Tabara 2005, Faget 2006). Il ne s’agirait plus seulement de combler l’ignorance des citoyens quant à une question particulière, mais d’articuler l’expertise à la concertation sociale pour construire un référentiel global de sécurité partagé sur base d’une co-orientation des participants au dialogue. On assiste bien, sous le mot d’ordre de précaution, à deux changements concomitants, le premier affectant les critères d’acceptabilité sociale des choix technologiques, le second transformant les processus de construction et de mise en œuvre de la décision ¬ lesquels deviennent, en soi, une source de légitimation sociale (Groux 2005 ; Pidgeon, Poortinga, Rowe, Jones, Walls, O’Riordan 2005). De nouveaux processus délibératifs sont ainsi mis à l’agenda politique et scientifique, créant des enjeux inédits et, jusqu’à présent, peu étudiés.
Dans cette nouvelle configuration, la construction de l’acceptabilité sociale des choix technologiques passe par l’organisation d’un dialogue entre politiques, scientifiques, partenaires socio-économiques (stakeholders) et grand public. Ce dialogue porte notamment sur l’application du principe de précaution, non pas comme référentiel d’action substantif, définissant le contenu de la décision, mais comme ensemble de règles procédurales structurant le processus décisionnel de manière telle qu’il puisse être qualifié de « précautionneux » par l’ensemble des acteurs concernés. Une argumentation scientifique n’étant plus suffisante, dans un tel cadre, pour justifier une décision politique, un nouveau cadre décisionnel doit être proposé : le choix se porte actuellement sur des procédures participatives dans laquelle les acteurs concernés, dont les citoyens, co-créeraient un référentiel commun de sécurité.
L’élaboration des politiques publiques requiert dès lors une ouverture des champs d’expertise au de nouveaux acteurs. L’exercice de l’autorité revient à animer un enchevêtrement d’interdépendances dont la richesse tient précisément à la capacité à opérer en commun, individuellement et en groupe dans des univers faiblement structurés, des situations à forte turbulence. La tâche n’est pas aisée car elle revient à admettre, au moins à titre provisoire, la relativité et l’absence de hiérarchie des savoirs, le droit de toutes les parties prenantes à prendre la parole, à débattre, y compris de données et d’analyses scientifiques pour participer à une redéfinition collective de la problématique (Gilbert C., 2002). Dans une telle stratégie de communication, l’art impose de s’adresser de façon adéquate aux différents groupes concernés, sans écarter aucun d’entre eux. Il s’agit de créer de nouveaux espaces d’expertise, ouverts à des stakeholders diversifiés, des forums capables de rendre citoyens et gestionnaires conscients de la nécessité d’une ouverture multidimensionnelle. Or les structures traditionnelles permettent rarement de telles intrusions.
Le nouvel enjeu des administrateurs est de proposer des options à la fois techniquement efficaces et socialement acceptables. La nouvelle réticulation des structures administratives ne peut résulter d’un simple changement cosmétique mais demande une réflexion stratégique et organisationnelle d’ampleur (Groux J., 2006). C’est le prix à payer pour améliorer les performances instrumentales et axiologiques, c’est-à-dire, augmenter l’efficacité de la planification tout en améliorant son inscription dans la société. Les responsables publics ne manqueront pas de dénoncer le surcoût d’une telle approche et la distribution des moyens de la puissance publique.
Sur base d’une approche pragmatique et contextualisée de deux récents conflits environnementaux en Belgique (installation d’antennes GSM et décontamination des sols pollués), les auteurs proposent de développer une analyse de l’action publique en terme de projet, présentant comment à chaque étape de celui-ci, depuis les études exploratoires jusqu’à la conception du projet, sa mise en œuvre et son exploitation, des acteurs différents sont mobilisables, autour d’objectifs différents. Ensembles ils contribuent à créer un univers sécurisant et coopératif, où les incertitudes et insécurités ne sont pas résolues mais au moins construites voire régulées.
Quels sont les critères qui permettent de mettre en évidence un processus de modernisation réflexive ? (Beck et al, 2003) Le processus doit s’inscrire dans une logique temporelle, accepter la fluidité des frontières et des identités co-construites et reconnaître la pluralité des rationalités et les limites d’incertitudes. Le dispositif mis en place doit favoriser l’émergence d’une dynamique d’apprentissage. Les deux cas de figure analysés s’inscrivent dans des référentiels politiques différents et leur confrontation permet de mettre en évidence des propriétés spécifiques en matière de processus d’identification des acteurs légitimes, de négociation des règles d’ouverture, d’organisation et de structuration des lieux de rencontre sociale et de construction de centres de référence.
Les auteurs proposent d’inscrire l’analyse de l’expertise et des experts qui lui donnent vie dans une perspective sociale concrète en rendant justice à la dynamique temporelle trop souvent négligée.