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Abstract :
[fr] Le dernier Zola, celui du projet des Quatre Évangiles, développe explicitement une vision de l’avenir. Celle-ci s’ancre avec force dans une pensée utopique qui puise diversement aux théories fouriéristes, anarchistes et collectivistes, comme le met en évidence son roman Travail (1901), dans lequel il imagine la mise en place d’une société nouvelle sous la forme de la Cité heureuse, qui serait la ville ouvrière idéale du XXe siècle. Il réfléchit ainsi aux configurations possibles du phalanstère et explore la complexité des interactions entre les idéaux utopistes du réformisme social et les dangers doctrinaux et totalitaires de la dystopie.
Mais, au-delà de cette seule inscription dans l’utopie, c’est toute une écriture de l’anticipation par extrapolation du présent que développe Zola dans son dernier cycle romanesque, envisageant ainsi « un prolongement dans demain » comme il le formule. Cette anticipation motivée par le passage d’un siècle à l’autre s’ancre dans une réalité observable et familière. Elle convoque une temporalité longue, progressive et abstraite, incarnée dans la succession des générations et revisitant le déterminisme par l’atavisme. Elle s’appuie sur la science, tout en empruntant à une forme de lyrisme prophétique mâtiné de rhétorique biblique.
Ces caractéristiques romanesques gagnent à être resituées dans les poétiques du « merveilleux scientifique » (Maurice Renard) et les écritures d’anticipation qui émergent au XIXe siècle, dont Zola a pu être tributaire. On compte d’ailleurs, parmi ses sources avérées, Cent ans après ou L’An 2000 d’Edward Bellamy (1888). On observe aussi des hybridations entre l’essayisme et la fiction, dans le prolongement des textes d’Étienne Cabet et de Jean Grave. On décèle, plus largement, une certaine inscription dans la lignée des récits conjecturaux, où se côtoient notamment les œuvres d’Émile Souvestre, H.G. Wells, Jules Verne, Rosny aîné, Didier de Chousy, Albert Robida, Paul Adam.
En croisant les poétiques romanesques naturaliste et conjecturale, cette communication propose de préciser la situation du dernier Zola dans les courants esthétiques divisés de la fin du siècle, dans les options littéraires relatives à la « conjecture romanesque rationnelle » (Pierre Versins) et dans les attributions respectives de l’utopie et l’anticipation, envisagées comme deux modalités distinctes d’écriture et de pensée de l’avenir.