No document available.
Abstract :
[fr] À travers cette proposition, nous cherchons à comprendre les processus sociaux qui ont permis au marché de la rue d’Espagne à Tunis, l’une des principales artères du centre-ville de Tunis, d’évoluer d’un état d’empiètement silencieux (Bayat, 1997) des vendeurs sur la rue jusqu’à l’installation du marché comme un spectacle de normalité (Goffman, 1973), tel que nous l’avons observé lors de notre étude ethnographique (novembre 2022 - juin 2023). En occupant les côtés de la rue, les vendeurs la transforment en un marché informel. Cette forme de possession territoriale se manifeste à travers l’appropriation d’une partie de la rue, réservée à un vendeur ou à un groupe de vendeurs, servant d’espace pour l’installation de leurs étals.
Dans un premier temps, nous soutenons l’idée que l’émergence du marché de la rue d’Espagne résulte d’un long processus de familiarisation des vendeurs de rue avec l’espace de la rue et ses usagers. Ce processus peut être appréhendé à travers le concept de familiarisation (Maxime Felder, 2021), que nous étudions à travers ses différentes phases et les circonstances sociales qui le facilitent : le tâtonnement et l’essayage, la répétition et la stabilité, ainsi que la construction collective de la familiarité. Ces phases montrent comment les vendeurs naviguent et expérimentent régulièrement l’espace de la rue, s’adaptent constamment avec les différents défis qui surgissent et établissent une routine sociale qui normalise leur pratique commerciale « (il)légalisée » et leur permis d’agir ouvertement.
Dans un second temps, nous montrons que l’appropriation de la rue et la possession des étals commerciaux suivent une certaine grammaire et certains règles sociales. Nous les identifions comme un ensemble des normes et de pratiques informelles qui montrent comment les vendeurs organisent, revendiquent et maintiennent la possession de leurs étals. Bien que cette forme de possession de la rue puisse initialement paraître chaotique, la possession des étals révèle une certaine routine sociale et elle montre une certaine régularité dans l’usage de l’espace public. En outre, cette pratique tire ses fondements dans la situation sociale instaurée par les vendeurs de rue à travers un long processus de (dé)familiarisation, de perturbations et d’ajustements sociaux, façonné par des interventions étatiques saisonnières et divers conflits spatiaux entre les vendeurs ambulants et les autres usagers de l’espace.