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Abstract :
[fr] En 1995 et 1996, Olivier Cadiot et Pierre Alferi ont fait paraître deux numéros d’une revue littéraire qui a fait date, malgré ses deux uniques livraisons, son épaisseur peu maniable (plus de 400 pages pour chaque volume !) et son titre faussement générique : la Revue de littérature générale. Le sommaire des deux numéros est riche d’une hétérogénéité forte : on y trouve à la fois des poètes consacrés (Jacques Roubaud, Valère Novarina, Christian Prigent, Dominique Fourcade, Emmanuel Hocquard, Hubert Lucat, Jude Stéfan), des auteur·ices alors émergeant·es (Michelle Grangaud, Anne Portugal, Vannina Maestri, Kati Molnar, Jacques Sivan, Nathalie Quintane, Manuel Joseph, Christophe Tarkos), quelques Américains (John Giorno, Chet Wiener, Charles Bernstein) mais aussi des critiques littéraires (Pascale Casanova), des philosophes (Jean-Luc Nancy, Giorgio Agamben, Bernard Stiegler), des compositeurs (Rodolphe Burger, Pascal Dusapin), des romanciers (Éric Chevillard, Emmanuel Carrère, Jean Echenoz, Claude Ollier), des artistes visuels (Claude Closky) ainsi que des auteurs canoniques, republiés à titre posthume (Reznikoff, Proust, Eliot, Pound, Faulkner, Flaubert, Freud, Bakhtine, Schmidt). Véritable événement dans l’histoire de la poésie, certain·es chercheur·euses n’hésitent d’ailleurs pas à en faire un moment-pivot du contemporain (Wourm : 2013).
Les deux volumes de la RLG se présentent un peu comme des inventaires de techniques : listes, anagrammes, rébus, traductions multiples, etc. Une large place y est laissée à des procédés que l’on peut qualifier, peu ou prou, de montage – avec un sens de la nomenclature qu’on peut d’ailleurs juger désinvolte (Théval : 2015). L’ambition de cet article est de montrer que, plus qu’un choix esthétique, l’intérêt de la RLG pour le(s) montage(s) participe plus généralement :
(1) D’un positionnement poétique par rapport au renouveau lyrique en vogue dans les années 1980. S’il y a une disparité esthétique dans ces deux volumes (avec des pratiques de prélèvement et d’agencement variées, mais aussi des discours divergents, comme en témoigne le texte « La morale du cut-up » où Prigent se distancie explicitement de Cadiot), elle s’appuie sur une critique partagée du lyrisme – quitte à oblitérer l’existence de pratiques de montages plus proches d’un imaginaire poétique et romantique à l’instar de celui de l’herbier (cf. les Feuilles d’herbe de Whitman et le récent L’Herbier de Sabine Sicaud, la récente numérisation des herbiers d’Emily Dickinson, la publication de celui de Rosa Luxembourg).
(2) D’une stratégie sociologique d’alliance dans un sous-champ poétique désireux de faire front commun (quitte à rassembler des options esthétiques et politiques d’apparences variées). Si les études littéraires tendent à acter que le contemporain est marqué par d’autres manières de faire groupe (Lacroix et Ginoer : 2020, Baud : 2023), on devrait se demander ce qu’il en est dans le champ poétique où la position minoritaire a toujours rendu plus nécessaire qu’ailleurs les politique d’entraide et les constitutions de camp (Dubois : 2023). Partant, que peut-on dire du pot-pourri générationnel constitué par les auteurs et autrices de la RLG ?
(3) D’un choix politique, qui implique de mettre à distance toute discours politiquement tranché, tout en renouant avec un appétit théorique et certains motifs qui avaient inspiré les avant-gardes révolutionnaires (on pense notamment à la technicité, valorisée par les productivistes ou les futuristes, cf. Roberts 2007 et 2005 ; Arvatov : 2023)