No document available.
Abstract :
[fr] Depuis le célèbre article de Joan Scott, « Gender : A Useful Category of Historical Analysis », publié en 1986, le genre a fait ses preuves en tant qu'outil d'analyse fécond pour l'interprétation des sources historiques. De la sorte, cette nouvelle grille de lecture, sensible aux rapports sociaux hiérarchisés entre les sexes, et plus généralement entre les catégories du « masculin » et du « féminin », a su utilement compléter, sans toutefois les remplacer, les méthodes et les objets d'étude déjà développés dans le champ de l'histoire des femmes. Appliqué à l'histoire du droit, le genre doit permettre de comprendre comment les normes juridiques, en un lieu et temps donnés, entérinent, préservent, voire consolident la distinction et la hiérarchie entre les sexes, en ce compris le rôle et la place assignés à chacun d'eux au sein de la société étudiée. Depuis plusieurs années, un pan de la recherche argumente en faveur du développement d'une branche spécifique, au sein de l'histoire du droit, dédiée à l'analyse de ces interactions entre norme juridique, femmes et genre, la « feminist legal history » (Drakopoulou, 2018 ; Rackley et Auchmuty, 2020). Ces chercheuses partent du constat, qu'elles regrettent, du trop peu de place laissé à l'analyse juridique dans les travaux de l'histoire des femmes et du genre. Par ailleurs, elles s'attachent à définir des objets d'étude et questionnements éventuellement spécifiques à une telle discipline, par exemple l'étude des rapports entre les femmes, le genre, et les acteurs du monde juridique et judiciaire (autorités, notaires, avocats, juges, etc.).
Notre parcours doctoral, consacré à l'étude de la condition juridique (avant tout privée) des femmes mariées et veuves dans la Principauté ecclésiastique de Liège, principauté relevant du Saint-Empire romain germanique, durant les XVIème et XVIIème siècles a, jusqu'à ce jour, été traversé par une pluralité de questions quant à la manière la plus fructueuse d'employer l'outil qu'est le genre pour interroger les sources de façon originale et renouvelée, voire faire émerger de nouvelles sources. Notamment, nous nous sommes particulièrement intéressée aux tensions et controverses provoquées par la mise en œuvre des normes de droit déterminant la condition juridique de ces femmes. Dans cette contribution, en repartant d'exemples concrets tirés de nos analyses des sources liégeoises, nous souhaitons partager notre « pratique » quotidienne, toujours pétrie de questionnements, de doutes et de réflexions conceptuelles et méthodologiques, de la recherche en histoire « du droit » des femmes et du genre. Compte tenu des sources juridiques privilégiées lors de cette première édition du colloque, nous mettrons l'accent sur les sources de la coutume de Liège et les écrits des juristes qui l'ont commentée. Nous traiterons de trois questions particulières : celle des termes employés par la coutume et les juristes pour parler des femmes (1) ; le rôle des femmes en tant que témoins aux actes notariés et en justice, autorisé par le droit liégeois (2) ; enfin, les tensions générées, en ce compris au sein des trois États du pays, par les prérogatives exorbitantes accordées au mari sur les biens de sa conjointe, en vertu du régime matrimonial coutumier, connu à Liège sous le nom de « mainplévie » (3).