Masculinités post-traumatiques dans l’Afrique du Sud contemporaine. Analyse des stratégies de réaffirmation d’une masculinité niée

L’Afrique du Sud contemporaine est traversée par d’importantes fractures sociales et marquée par une violence multiforme. Qu’elle soit publique ou domestique, cette violence est condamnée dans les discours politiques et médiatiques comme le produit d’une masculinité toxique. Dans ce contexte particulier, cette présentation interroge la reconstruction de soi d’hommes victimes de violences. Vivant dans les townships de Mitchells Plain (Coloured) et de Nyanga (africain) au Cap, les hommes hétérosexuels interrogés ont subi une rupture de la colonne vertébrale à la suite d’attaques ou d’accidents. Il s’agit alors de saisir leurs façons d’agir et de se penser pour présenter une image positive d’eux-mêmes face à une double stigmatisation. En effet, en plus de la remise en question de leur virilité par la déficience physique, ces hommes doivent répondre au soupçon de violence qui pèse sur eux : les blessures physiques dans ces quartiers sont généralement associées, chez les hommes, aux activités de gang et interrogent leur responsabilité face à leur situation. Comment l’épreuve de la déficience physique acquise à l’âge adulte transforme-t-elle le rapport de ces hommes à la violence et aux relations de genre ? Ou, dit autrement, de quelle(s) critique(s) les masculinités post-traumatiques sont-elles porteuses dans l’Afrique du Sud contemporaines ?
Afin de saisir cette performance de la masculinité en situation de handicap (disabled masculinities), l’analyse adoptera une approche intersectionnelle combinant les acquis des disability studies et des men studies. Les données traitées sont issues d’un terrain de 18 mois auprès d’une association créée par et pour des personnes en situation de handicap à Mitchells Plain. A partir de l’observation du fonctionnement de cette organisation, des interactions quotidiennes entre ses membres (femmes et hommes) ainsi que d’entretiens biographiques, l’analyse identifiera plusieurs caractéristiques qui sont (re)valorisées dans la définition de la masculinité telles que le contrôle de son corps, l’endurance à la douleur, la protection des proches, ainsi que la capacité de séduction et la paternité. Il est alors suggéré que ces formes de masculinités peuvent être considérées comme hybrides car, si elles se positionnent bien contre la violence publique et domestique, elles reproduisent néanmoins la domination masculine centrale dans les structures sociales sud-africaines.
Au niveau théorique, cette présentation se veut une contribution à l’analyse des masculinités en situation de handicap (Shuttleworth, Wedgwood & Wilson, 2014). En interrogeant la manière dont le genre et le handicap s’affectent réciproquement, elle permet également de nuancer l’approche binaire de la masculinité en Afrique du Sud (Xaba 2001 ; Charbit 2009 ; Buire 2019).