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Abstract :
[fr] Dans le domaine du patrimoine, restaurer parfaitement à l’identique, à partir des matériaux d’origine, remettre les choses en leur « pristin état », comme dit le langage juridique, semble être le gage d’authenticité qui, en valeur d’évidence, aurait la puissance d’une preuve par neuf. Mais, en médiologie, les règles semblent bien plus compliquées qu’en arithmétique, au risque de paraître même totalement déraisonnables ou contre-intuitives. C’est sans doute pour cela que les logiciens ou les philosophes du langage s’intéressent à des paradoxes ou puzzles comme celui du bateau de Thésée, célèbre depuis l’Antiquité. Et c’est dans leur sillage que des experts du patrimoine ont fini par s’évertuer à comprendre ce que les « objets vagues », comme les appelle Pascal Engel, ont à dire de notre manière d’appréhender le monde patrimonial par la raison. Il s’agit de faire la part des choses, autrement dit de critiquer notre faculté de juger et de reposer la difficile question du lien entre les mots et les choses. Les logiciens contemporains se posent ainsi bien d’autres questions au sujet de la restauration d’un objet que de savoir à partir de quelle quantité de matière une chose (das ding) est encore elle-même. Il s’agit encore, selon eux, de prendre en considération les intentions en amont et en aval de l’acte de sa ré-instauration et de répondre à la question : qui restaure l’objet ou, dans notre cas, l'édifice, pourquoi et pour qui ?
A une époque où l’ostracisme que les chartes du XXe siècle avaient fait peser sur les « restaurations profondes » – pour reprendre le terme du Chanoine R.A.G. Lemaire – et davantage encore, les reconstructions, se heurte à la réalité politique, identitaire ou touristique, observer ce type de projets sous l’angle de l’intention contribue à éviter les amalgames qui regarderaient d’un même oeil des entreprises aussi différentes que la restauration de la flèche de Notre-Dame de Paris et celle de la Frauenkirche de Dresde. En partant de textes et concepts empruntés à la philosophie analytique, cette intervention interrogera l’impact des intentions guidant une restauration sur la nature-même du monument (re)produit, en se référant aux catégories fondatrices établies par Aloïs Riegl au début du XXe siècle.