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Abstract :
[fr] Le déclenchement de la pandémie de la covid-19 est un moment charnière pour de nombreuses diasporas dans leur rapport avec leur pays d’origine. Alors que la communauté tunisienne en Europe était fortement touchée par la pandémie, les associations tunisiennes dans toute l'Europe se sont organisées pour apporter un soutien à leurs concitoyens vulnérables. Parmi elles, de nombreux médecins et entrepreneurs dans le domaine médical ayant quitté la Tunisie au cours des dernières décennies. Anticipant les difficultés que la Tunisie pourrait rencontrer affectant un secteur de la santé déjà fragilisé, ces associations ont exprimées leur volonté de soutenir le pays au travers d’envois de fonds, d'équipements médicaux et sanitaires.
Les émigrés qui ont souhaité rentrer dans leur pays d’origine pendant la pandémie ont pourtant été dépeints, comme les responsables de la dégradation de la situation sanitaire dans le pays. Le décompte des dits « cas importés » a ainsi mis le stigmate sur l’émigré comme portant en lui une menace contre son pays venant raviver l’association historique entre migration et circulation de maladies (Prothero 1977). Le « corps étranger » est perçu comme biologiquement menaçants, mettant en péril la santé de la nation (Higham 1988). En défendant son « droit au retour », l’émigré devient un « mauvais citoyen » et certains États, dont la Tunisie, ont mis en place des mesures rendant difficile les retours vers le pays d’origine. Une ligne a donc été tracée entre les mobilités considérées comme « risquées » et « inutiles » de celles considérées comme « nécessaires » et « légitimes » (Scheel 2020) ravivant les tensions autour de la place des expatriés, tantôt inclus en tant que citoyens à part entière, tantôt exclus comme citoyens de second rang.
Dans cette communication, j’examinerai le temps de la pandémie comme moment de rupture de la « communauté émotionnelle » (Schnapper 1994) entre les diasporas et leur pays d’origine, déclenchant ainsi une renégociation de la place des émigrés. Pour ce faire, je me réfèrerai au concept d'économie morale (Thompson 1971 ; Fassin 2005), en prêtant attention au rôle des normes, des valeurs et des émotions qui guident les actions des diasporas dans leurs relations avec le pays d'origine. De plus, en observant les circulations thérapeutiques à travers les frontières, je discuterai la façon dont les liens, les réseaux et les flux transnationaux ont été mobilisés pour répondre aux besoins de santé dans le contexte de la pandémie. Cette communication propose ainsi une relecture des concepts de diaspora et de transnationalisme à l’aune de la littérature sur les mobilités thérapeutiques.
Ma méthodologie de recherche - une ethnographie multi située entre la Belgique, la France et la Tunisie sur les pratiques de santé transnationale des migrants tunisiens - a dû être repensée pour s’adapter à la pandémie. Mon travail ethnographique est donc en partie une « netnographie » (Kozinets, 2019) où j’ai suivi en ligne le déroulement des campagnes associatives. En effet, les participants à ma recherche tout comme les associations que j’ai observées ont eux aussi dû trouver des modes d’interaction et de mobilisation alternatifs en ligne. Cette communication sera ainsi l’occasion de revenir sur les défis méthodologiques pendant la pandémie.