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Abstract :
[fr] À la fin du 19e siècle, en France, les décisions d’annulation de ventes d’œuvres d’art pour défaut d’authenticité se multiplient. Les juges précisent alors les conditions auxquelles une vente de tableaux est valable. Rapidement, des tendances nettes se dessinent : en matière d’œuvre d’art, l’authenticité de l’objet constitue la substance de la chose vendue et, à ce titre, le défaut d’authenticité est susceptible d’entrainer l’annulation de la vente. Ainsi, les juges sont amenés à rechercher ce qui, dans un tableau, traduit la présence passée de son auteur, voire, en cas d’interventions multiples sur une même toile, de déterminer si l’œuvre porte suffisamment l’empreinte de ce passage pour être jugée authentique. Instinctivement, il est tentant de penser que, dans cette matière, les décisions des juges traduisent simplement les conclusions de rapports d’expertise. Pourtant, un examen plus attentif de la jurisprudence révèle que l’issue du litige est le plus souvent déterminée par des critères qui n’ont rien d’artistique ou de scientifique. Ce sont des raisons propres au droit – raisons procédurales, raisons liées à la charge de la preuve, raisons tenant à l’impossibilité d’examiner ce qui n’est pas contesté – qui déterminent la substance de la chose vendue et, dès lors, l’issue du procès. En d’autres termes, les juges inventent le faux en se fondant sur des critères propres au droit. Alors que la pratique de l’époque enseigne que toute œuvre d’art est ouverte à la multiplicité des interventions (retouches, conseils, échanges de tableaux entre peintres…), le droit nie le caractère nécessairement processuel du travail artistique. Il cherche de l’unité là où prévaut la multiplicité ; il cherche à assigner une place irrévocablement définie à un objet dont la pureté ne cesse pourtant de se dérober.
À travers l’examen de cas concrets, nous examinerons le rôle joué par le droit dans l’émergence de la notion d’authenticité. En cherchant à établir la vérité à propos des tableaux qu’ils ont été amenés à examiner, les juges n’ont pas dégagé la vérité artistique, mais bien la vérité du droit. Se peut-il, dès lors, que l’idée largement répandue selon laquelle toute œuvre d’art est la trace du passage d’un auteur ne soit, en dernière instance, qu’une fiction juridique ?