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Abstract :
[fr] L’idée de ce cycle de conférences sera de repartir des multiples dimensions de l’expérience esthétique que l’on peut faire des œuvres d’art visuelles, pour voir comment cette expérience se rejoue et résonne pour les personnes non- ou malvoyantes. On décortiquera pour les envisager une à une ces différentes dimensions : goût, émotion, description, connexion des sens, mémoire, etc. Les échanges permettront d’envisager – d’abord théoriquement puis en s’appuyant sur des vécus de terrain – un problème à l’allure paradoxale : comment voient ceux qui ne voient pas ?
séance 1 :
Avoir du goût, tenir à ses goûts, parler de ses goûts
1.
On commencera par reprendre la réflexion développée par Kant sur le goût, dans la troisième Critique (la Critique de la faculté de juger), le troisième volume de son grand projet. Son idée, très simple, mais très forte, consiste à dire : le jugement de goût (exprimé lorsqu’on trouve une œuvre belle) est subjectif mais prétend à l’universalité. Autrement dit, comme on le réexpliquera, le jugement de goût est privé, personnel, sensible (il concerne celui qui l’exprime en première personne), mais il est aussi prétentieux : on espère bien convaincre les autres que l’œuvre est belle, et on serait heurté qu’ils ne partagent pas notre jugement.
2.
Dans ses recherches autour du monde des aveugles, l’artiste française Sophie Calle a mené une enquête sur ce que serait pour eux « l’image de la beauté ». On reviendra sur ce travail, et à ce qu’il nous permet de penser. Deux aspects au moins s’en dégagent. Le premier : les personnes aveugles, y compris depuis la naissance, n’ont pas du tout abandonné le vocabulaire de la vision (ils voient, ils contemplent, ils aiment des images). Le second : contrairement à ce que la naïveté pourrait nous faire penser, ils ont des préférences « visuelles » très marquées, par ex. en ce qui concerne les couleurs.
3.
Dans un troisième temps, et en s’appuyant sur des expériences de terrain, on se demandera ce qu’il est possible de faire de ses goûts, de ses attachements, de ses préférences – surtout quand ils sont très vifs ? Où et comment les rendre audibles ? Avec qui les partager ? Comment se donner les moyens d’être « prétentieux » (au sens défini plus haut) lorsque le sens de la vision est entravé ? Dans quel milieu peut-on déposer ses jugements de goût ? En ouverture, on fera sur ce point une proposition concrète.