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Scientific conference in universities or research centers (Scientific conferences in universities or research centers)
Enquêter sur/avec des images. Warburg et l'Atlas Mnemosyne.
Hagelstein, Maud
2020
 

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Keywords :
image; Warburg; Iconic turn; Ginzburg; Mnemosyne; heuristique des images
Abstract :
[fr] Comment fait-on pour saisir la surdétermination des images, leur pouvoir de trouble ? Ol faut commencer par les regarder, les observer, les pister (j’utilise ce terme à dessein). Dans son article sur les méthodes d’enquête et de pistage dans les sciences humaines : « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire » (1979), l'historien Carlo Ginzburg actait l’émergence progressive d’un modèle épistémologique « apparu silencieusement » à la fin du XIXe siècle, mettant l’examen des détails au centre des exigences du champ des sciences humaines (observer les petites choses qui peuvent nous mettre sur la piste de voies interprétatives nouvelles). Loin d’être insignifiants ou distrayants, loin d’être considérés comme écarts ou faits marginaux, les détails ont ainsi pu acquérir un rôle central pour la description, l’interprétation et l’attribution (quel que soit le domaine d’investigation privilégié). Autrefois largement sous-estimés par l’observation, dont ils constituaient en quelque sorte les rebuts devant être abandonnés au profit d’une vision d’ensemble, les détails se sont – pour les défenseurs de ce paradigme – mués en indices permettant de reconstituer et de révéler une situation absente. (Pour Warburg c’est très intéressant puisque dans ses montages d’images de l’Atlas Mnemosyne, il va travailler avec des détails, découper les images, offrir des cadrages serrés sur des éléments secondaires, etc.). Enraciné dans les moments inauguraux décrits par Ginzburg, le paradigme indiciaire est devenu le lieu de croisement « de disciplines basées sur le déchiffrement des signes en tout genre, allant des symptômes aux écritures » . Or, parmi ces disciplines, il faut compter à n’en pas douter l’iconologie, à laquelle Ginzburg fait très peu référence dans l’article de 1979, si ce n’est à travers la citation d’ouverture, qu’il attribue à Aby Warburg : Dieu est dans les détails. Car en effet, en tant que méthode d’interprétation des artefacts visuels (essentiellement concentrée sur la peinture), l’iconologie cultive un contact rapproché avec ses objets et défend une « lecture » attentive des marques matérielles renvoyant à un contexte symbolique précis, qu’il s’agit de dégager. Le travail de l’iconologue s’inscrit par définition dans le registre du déchiffrement ; les œuvres d’art étant régulièrement assimilées à des rébus dont il faut pouvoir résoudre l’énigme (on voit bien qu’on a ici une conception très particulière du détail ). Dans cette perspective, la peinture est considérée comme accumulation de signes indiquant une valeur symbolique définie. En tant qu’approche spécifique (et volontairement limitée) de l’œuvre d’art, l’iconologie pose le problème de la signification, et interroge ce qui nous met sur la piste de la signification. Le motif de l’énigme n’est pas étranger à Warburg, même s’il prétend échapper à l’obsession du rébus, comme le fait croire stratégiquement la conclusion de l’article programmatique « Art italien et astrologie internationale » : « Chers collègues ! Résoudre un rébus – et surtout si on ne peut pas l’éclairer tranquillement, mais seulement donner des coups de projecteur cinématographiques – tel n’était évidemment pas le propos de mon exposé » . Or, s’il n’a pas l’intention de restituer dans ses détails les valeurs symboliques et le contexte idéologique auxquels renvoient les fresques analysées (bien qu’il le fasse tout de même partiellement), c’est surtout que son objectif n’était en rien d’assigner définitivement une signification fixe à l’œuvre d’art étudiée. Contrairement à ce que martèlent les détracteurs de la discipline, la tâche de l’iconologie ne peut se résoudre à la seule identification de figures ; il s’agit plutôt – Warburg le défend explicitement – de reconstituer des parcours de transformation. De montrer la grande plasticité des motifs de l’art. Quand il baigne dans le monde des images – comme enquêteur, comme historien, comme amant même – que fait Warburg ? Que cherche-t-il ? Je pense qu’on peut dire sans trop plier ses intentions qu’il cherche les transformations, les métamorphoses, et qu’il voudrait les faire apparaître, faire apparaître la plasticité du visuel. Non pas donc les significations instituées attachées aux images, et aux formules visuelles à partir desquelles elles sont fabriquées, mais les modifications qu’elles connaissent – à chaque fois qu’elles sont reprises et retravaillées par un artiste dans l’exercice d’un style. Par exemple, il travaille beaucoup au départ du concept de Pathosformel, de « formule du pathos » ou de « formule d’émotion ». Ces formules qui hantent la peinture renaissante sont selon Warburg des formules gestuelles intensifiées (surjouées) et porteuses d’une grande charge émotive : bras levés au ciel, genoux pliés (déférence, dévotion, ou agression guerrière), bouches ouvertes, expressions du désir, cris, pleurs, gestes de lamentation, d’enthousiasme ou de douleur. Warburg remarque que ces formules sont omniprésentes, et que la plupart de ces formules sont empruntées à l’antiquité, par exemple aux sarcophages grecs. Or, ce sont des formules qui bougent (au double sens du terme). Car une fois reprises dans les tableaux de la renaissance, elles trouvent un nouvel ancrage, une actualisation alternative, et leur sens peut même s’inverser (Warburg parle alors d’« inversion énergétique »), autrement dit ce sont des formules plastiques ambivalentes, qui se chargent selon les contextes où elles sont réinvesties. On trouve alors dans des représentations chrétiennes des motifs païens. Il veut montrer les déplacements, les circulations (pour indiquer comment se chargent les images) – et il invente donc un Atlas, dont le dispositif aura marqué tous les théoriciens de l’image par la suite, et plus largement (les artistes, les avant-gardes, les historiens), un atlas qui se présente comme une gigantesque juxtaposition visuelle de motifs de l’histoire de l’art. Avec l’Atlas Mnemosyne, l’historien de l’art n’a pas eu l’intention de constituer un simple répertoire de formes canoniques fixes ; au contraire, son intérêt portait essentiellement sur l’infinie variation des motifs et sur les écarts – ou « défigurations » – qu’implique le phénomène de « survivance » (Nachleben) des formes. Par sa pratique du document, Warburg restaurait en quelque sorte la « vie » propre des images, activant en elles des « effets latents » . Au regard des propositions de Warburg, l’iconologie reste du côté de la reconstruction historique du sens de l’œuvre, reconstitution la plus fine possible, mais appuyée sur la mise en lumière d’une économie de la signification faite d’écarts, de torsions, de renforcements, de recouvrements, etc. – en somme, faite de survivances. Mais surtout : l’interprétation (le travail d’enquête) semble au fond ne pas avoir de terme, ni d’autre fin que de décrire un mouvement.
Disciplines :
Philosophy & ethics
Art & art history
Author, co-author :
Hagelstein, Maud ;  Université de Liège - ULiège > Département de philosophie > Esthétiques phénoménologiques et esth. de la différence
Language :
English
Title :
Enquêter sur/avec des images. Warburg et l'Atlas Mnemosyne.
Publication date :
18 November 2020
Event name :
Séminaire sur les pratiques d'enquête (Savoirs critiques)
Event organizer :
François Provenzano / Julien Pieron
Event date :
18 novembre 2020
Commentary :
Programme du séminaire pour 2020-2021, François Provenzano / Julien Pieron : "L’enquête peut se définir comme une démarche intellectuelle en prise avec un terrain problématique, cherchant à documenter des formes de complexité, et tendue vers des formes de narration, qui agissent comme autant de modes de pluralisation du réel. À ce titre, elle constitue, en elle-même, un motif épistémologique, esthétique et politique. Épistémologique, parce qu’elle touche aux conditions dans lesquelles est produit un savoir ; esthétique, parce qu’elle engage un rapport sensible à un environnement et une attention aux formes par lesquelles elle s’élabore et se diffuse ; politique, parce qu’elle entend produire des effets concrets sur la manière dont se vivent et se structurent les communautés. Nous faisons l’hypothèse que les pratiques d’enquête ne sont pas réservées uniquement aux sciences sociales ou au journalisme, mais qu’elles peuvent aussi nourrir de plein droit la philosophie, la littérature et les sciences du langage. Ces pratiques produisent des effets performatifs que nous souhaitons interroger : enquêter sur un terrain, c’est contribuer à y faire émerger des questions, des problèmes, et parfois en déplacer les lignes de force et les évidences, y compris celles de l’enquêteur. Les enquêtes requièrent également une poétique particulière, un travail de création et de mise en forme, sur lesquels reposent pour une part leur potentiel critique et leur capacité à affecter des publics. Très concrètement, le séminaire explorera différents paradigmes (auteurs, disciplines, travaux) qui articulent enquête, critique et création. Nous détaillerons les gestes précis qui supportent ces démarches, en particulier le geste du montage (par le biais de l’exemple cinématographique). Nous examinerons également plusieurs réalisations concrètes (en littérature, en arts, en création radiophonique, etc.), en cherchant à chaque fois à comprendre quelle conception de l’enquête est réclamée par la singularité d’un terrain, à travers quels choix formels elle se réalise, et quels effets critiques elle engendre."
Available on ORBi :
since 23 November 2020

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