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Conference given outside the academic context (Diverse speeches and writings)
Conférence-rencontre Philostory. Autour de "Arctique" d'A.-C. Vandalem
Hagelstein, Maud
2018
 

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Keywords :
Alaska; Grand Nord; Gwich'in; Nastassja Martin; animisme; Descola; Anthropologie de la nature
Abstract :
[fr] La rencontre de ce soir vise à proposer une lecture croisée d’un spectacle et d’un livre. Le spectacle : « Arctique » d’Anne-Cécile Vandalem ; le livre : « Les âmes sauvages. Face à l’occident, la résistance d’un peuple d’Alaska » de Nastassja Martin (La découverte, 2016). Au fond, ces deux projets, ces deux récits, on ne doit pas les assimiler trop vite, ils portent sur des réalités (des contextes) différents, y compris d’abord d’un point de vue spatial : « Arctique » raconte, sur fond d’une expédition européenne historique avortée (moitié du 19ème siècle, celle de Franklin), le déplacement en 2025 d’un navire accidenté, l’Arctic Serenity, resté à quai pendant 10 ans, depuis le port de Copenhague jusqu’à la capitale du Groenland, Nuuk, où il sera transformé en hôtel censé attirer la clientèle fortunée. Le Grand Nord évoqué ici, c’est celui d’un territoire d’outre-mer (entre les océans Arctique et Atlantique), mais associé à l’Union européenne, c’est-à-dire au royaume du Danemark, en tout cas depuis que la Norvège – qui le colonisait depuis près de 1000ans – a perdu sa souveraineté sur le Groenland en 1814. C’est entre Copenhague et Nuuk que l’Arctic Serenity s’égare (ou est égaré). Tandis que le livre de Nastassja Martin nous déporte plus à l’Ouest (entre les océans Arctique et Pacifique cette fois), en Alaska, où se trouve le territoire des Gwich’in (en réalité plus proche de la Russie et du Canada que du Groenland et de l’Europe). Et pourtant, ces deux espaces nordiques séparés l’un de l’autre sont en quelque sorte liés par un passage, un passage « mythique », qu’on appelle le passage Nord-Ouest. Qu’est-ce que c’est que ce passage ? Il traverse l’espace maritime de l’océan Arctique et permet de passer de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique (du Groenland à l’Alaska), en traversant toutes les iles du Canada nordique/arctique, qui se décrochent en quelque sorte du continent américain, créant un réseau de voies plus ou moins profondes, plus ou moins navigables (mais tout de même peu navigables en gros), qu’on rassemble sous l’appellation de passage du Nord-Ouest. Comme l’indique le début du spectacle d’Anne-Cécile, de nombreuses expéditions sont parties à la recherche de ce passage, « pour conquérir des terres inexplorées », sans grand succès. Or, depuis la fonte des glaces, ce passage est devenu praticable en été (l’été est très court). Il est pris par les glaces le reste de l’année. Cette histoire de passage est intéressante pour deux raisons (et pas seulement parce que le passage relie les deux terrains des récits qu’on voudrait croiser) : d’abord elle souligne (si c’était nécessaire) l’enjeu inévitablement écologique/économique de la situation de crise dans laquelle se trouve la zone Arctique (c’est bien le changement climatique qui ouvre ce passage, et c’est d’ailleurs aussi la fonte des glaces qui fait apparaître certaines richesses du sol que convoitent les occidentaux), mais surtout elle insiste le caractère mythique du passage, et nous mène sur le terrain qui nous intéressera en premier, le terrain des fantasmes/désirs qui accompagnent la représentation du Grand Nord. Pour construire/écrire son spectacle, Anne-Cécile Vandalem est partie d’un rêve, d’une attirance, d’un désir qui prenait pour objet le Groenland, ou plus largement le grand Nord. On sait déjà depuis Tristesses que quand elle était petite, elle voulait être curée, aujourd’hui on apprend, en lisant la note d’intention du spectacle Arctique : « Depuis toute petite, je suis attirée par le Grand Nord. Je n’ai jamais cherché à comprendre pourquoi, ni d’où venait cette attirance, mais une image n’a eu de cesse de me hanter : celle de ma propre mort sur la banquise. J’étais alors persuadée que, pour une raison que je ne connaissais pas encore, je terminerais ma vie quelque part, dans le Grand Nord » (A.-C. Vandalem). C’est donc le rêve du Grand Nord comme un endroit pour mourir. Or il se passe quelque chose : ce rêve d’enfant devient l’occasion d’une enquête (documentaire) sur la réalité géopolitique complexe d’un territoire qui veut son indépendance et qui est prêt – pour l’obtenir – à sacrifier une part de ses richesses en les laissant exploiter par des multinationales étrangères (en les sacrifiant), mais aussi une enquête sur la catastrophe écologique du réchauffement climatique (d’autant que cette exploitation consentie augmente le réchauffement), etc. Cette enquête la pousse au constat que « elle ne sera peut-être pas la seule à aller mourir dans le Grand Nord » (article publié dans le Monde en juin). Cette image qui hante A.-C. (mourir sur la banquise) devient en fait le cauchemar tout à fait probable (de plus en plus probable) d’autres qu’elle – y compris de ses personnages. Je voudrais proposer une première lecture comme amorce : Le spectacle d’Anne-Cécile s’articule à la question du fantasme, se confronte directement aux rêves de Grand Nord, à ce qu’il est pour nous qui venons de l’Europe continentale ou d’ailleurs. Et on voit qu’il met en jeu différentes formes de désir, que les personnages portent (comme une variation de désirs différents qui sont parfois contradictoires) : désir d’aventure, de sauvage, d’exploration (le désir de Franklin l’explorateur) ; désir de pureté, de préservation de la nature, de suspension du désastre écologique (celui de Marianne Thuring, la militante écologiste) ; ou au contraire désir d’accélération de la crise (« we love global warming »), désir de levée du moratoire qui empêche l’extraction de minerais ; désir de conquête, d’appropriation des ressources, d’enrichissement, etc. Et au fond, c’est un spectacle qui entremêle ces différents désirs (qui les frotte les uns aux autres, pour montrer aussi bien leur proximité et que leurs contradictions). La scénographie fait qu’on ne voit jamais l’objet du désir, on n’a que le huis clos de personnages qui dépérissent de leurs rêves, en sont les victimes. On part d’une situation de fantasme – qui bouge évidemment avec la crise que connait région arctique (cette crise fait qu’il y a des choses qui apparaissent, et d’autres qui disparaissent, le tout à grande vitesse, alors évidemment le fantasme réagit à ces transformations) – cette situation de fantasme, le spectacle l’expose dans sa complexité, par le biais d’une fiction. Une fiction qui dérape, qui pousse les personnages dans un vrai chaos, ils finissent par mourir de leurs fantasmes/désirs. Le livre de Nastassja Martin, Les âmes sauvages, est en quelque sorte complémentaire parce qu’il met en scène (il décrit très finement et déplie) – au contact d’une autre situation – le choc de ce fantasme occidental, ou en tout cas le choc d’une série de représentations du grand Nord, avec la réalité d’un peuple (les Gwich’in) qui le déjoue tout le temps. Deux mots sur le livre : il présente, dans un format vraiment stimulant et une écriture très belle, les résultats d’une thèse réalisée avec P. Descola au départ d’une enquête de terrain de 2 ans auprès des Gwich’in – chasseurs-cueilleurs d’Alaska. On pourrait dire que cette enquête porte sur la manière dont le réchauffement climatique affecte radicalement le mode de vie des Gwich’in. Pour autant, NM ne veut pas en faire des victimes (elle veut dépasser le seul constat d’un effondrement écologique, d’une nature préservée mais « parquée », avec des habitants déprimés, drogués, désœuvrés). Elle montre les différents plans sur lesquels les Gwich’in résistent au départ d’une ontologie différente de la nôtre (une manière de penser les liens entre les êtres différente de la nôtre) : ils résistent aux prêtres en conservant leurs conceptions animistes (ils résistent à l’acculturation occidentale) ; ils résistent aux compagnies qui convoitent leurs terres (exploitation des sous-sols). Ils répondent en s’organisant, et Nastassja Martin décrit les stratégies par lesquelles ils s’organisent. Et surtout : ils résistent aussi aux écologistes (ou en tout cas à l’écologie institutionnelle, organisée) – dont on pourrait penser d’abord qu’ils sont des alliés naturels – qui voient dans l’Alaska une nature « pure et originelle » (ils n’adhèrent pas à la réponse écologiste – autant qu’ils mettent à distance aussi la réponse capitaliste). Autrement dit (si on prend les choses un peu simplement) : NM, qui elle-même rêvait d’une nature « grandeur nature » (attirée par l’image d’un monde préservé), offre finalement le récit de ce qui, chez les Gwich’in eux-mêmes, résiste à ce rêve. Loin d’être les promoteurs du fantasme occidental de préservation de la pureté de la nature, les Gwich’in sont à distance de ce qu’on voudrait qu’ils soient. Il s’agit bien de trouver pour eux la voie juste/pragmatique entre respect et réalisme. Et même plus (mais là je vous laisserai peut-être l’expliquer Nastassja et Lucienne) : Leur opposition au fantasme de la « wilderness » (la nature pure et sauvage) se saisit chez NM au départ de leur animisme structurel/ontologique puisque l’idée même de wilderness – et les stratégies écologistes qui en découlent – est une idée qui fige la nature dans sa pureté, qui la folklorise, qui la sanctuarise. Une idée qui rejette finalement les forces et les pouvoirs des non-humains. Et au fond, les deux, le spectacle et le livre, s’intéressent à ce choc, c’est-à-dire font voir des contradictions entre nos représentations d’occidentaux (ou d’européens du continent), et celles des habitants des territoires de la zone arctique (leurs représentations mais aussi leurs expériences, leurs pratiques). Ce sont donc les deux choses sur lesquelles j’aimerais vous entendre : d’un côté, le fantasme (ou l’ensemble de représentations imaginaires ou conceptuelles) d’où on part ; d’un autre côté, la réalité concurrente que vous avez découverte et qui fait vaciller ces représentations.
Disciplines :
Anthropology
Philosophy & ethics
Author, co-author :
Hagelstein, Maud ;  Université de Liège - ULiège > Département de philosophie > Esthétiques phénoménologiques et esth. de la différence
Language :
French
Title :
Conférence-rencontre Philostory. Autour de "Arctique" d'A.-C. Vandalem
Publication date :
November 2018
Event name :
PHILOSTORY
Event organizer :
Maud Hagelstein / Théâtre de Liège
Event date :
21 novembre 2018
Commentary :
Discussion avec Anne-Cécile Vandalem (mise en scène), Nastassja Martin (anthropologue, auteur de "Les âmes sauvages"), Lucienne Strivay (anthropologue de la nature).
Available on ORBi :
since 22 November 2018

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